Les guetteurs, les derniers messagers de l'espoir.
Compte-rendu de l'aspirante-chroniqueuse, Lénore Virah :
L'Histoire des elfes d'Aarklash a toujours été parsemée de paradoxes et de compromis souvent aussi complexes à appréhender qu'à décoder. Un des épisodes les plus énigmatiques et intéressants est sans conteste celui des guetteurs de l'Ynkarô. Certains en parlent comme de fantômes quasi-invisibles hantant les frontières entre la Forêt d'émeraude et celle d'Ashinân. Le peu de récits témoignant de les avoir aperçus ajoutent à leur mystère grandissant. Est-ce donc dû uniquement à leur grande discrétion ou à leur très petit nombre, la vérité se situe certainement entre ces deux pôles.
J'ai cependant eût la chance de côtoyer un de leurs binômes en action pendant plusieurs semaines. Non pas au cours de chacune de leur mission; car celles-ci étaient toujours couvertes du sceau du secret le plus absolu. Toutefois, leur histoire singulière m'en apprit beaucoup sur leur groupe de combattants d'élite et sur l'émergence très récente d'un genre nouveau de stratégie et de techniques guerrières au sein des armées elfiques.
Parfois le soir, au campement de fortune, le duo que je suivais, se laissait aller à quelques confidences, c'est ainsi que petit à petit, je commençai à me faire un vision plus claire de ce que représentaient ces curieux guetteurs.
Tout d'abord, nul n'ignore l'inimité existante entre les peuples Daïkinees et Cynwälls, née d'une querelle de succession, ni leur haine commune envers les elfes sombres, les Akkyshans, ces dernières étant à l'origine de la malédiction (de Scaëlin) qui frappa durement les femelles elfes du Destin. On se souvient évidemment que les elfes, à la base, ne formaient qu'un seul et même peuple mais qui se scinda en trois branches bien distinctes: les elfes du Destin, les Daïkinees constituant les racines originelles du peuple de Quitharyan, suivi d'une part de leur population qui se dirigea vers la Lumière pour former la nation Cynwäll, et enfin un troisième groupe qui fut séduit par les promesses trompeuses des Ténèbres et créa la grande toile des Akkyshans.
Même si ces quelques rappels sont bien connus de tous, ils n'en demeurent pas moins importants afin de comprendre l'apparition de la fratrie des guetteurs en annexe aux factions du Destin et de la Lumière. Et c'est ici que l'adage bien connu : « l'ennemi de mon ennemi est mon ami » prend toute sa signification pour deux peuples qui généralement s'évitent.
Ainsi, le binôme que je suivais depuis quelques jours était composé d'un Cynwäll et d'une Daïkinee ; il en était toujours ainsi, à chaque fois le duo de guetteurs se composait d'un mâle et d'une femelle, issus de l'un des deux peuples elfiques dont l'ennemi commun était les Akkyshans. En effet, les elfes noires pillaient régulièrement et indistinctement les villages Daïkinees et Cynwälls lors de raids sanglants où les araignées laissaient libre cours à leur cruauté légendaire, en massacrant femmes et enfants, ou bien pire en les emmenant en esclavage. La mission primaire des guetteurs était donc de contrer les plans machiavéliques des Akkyshans, en sauvant les otages et en éliminant la moindre survivante des raids horribles. Les guetteurs devenaient ainsi, à force de volonté et de concentration, les prédateurs des prédatrices, utilisant des techniques de combat de guérilla et de corps à corps vifs et mortels qui ne laissaient souvent aucune chance à leurs proies. Il n'y avait plus de place pour le style épuré des elfes, l'art du combat se devait d'être efficace, net et surtout sans témoins. Les guetteurs ainsi nommés, liés par un pacte de sang, formaient un couple, souvent au propre comme au figuré, les sexes opposés renforçaient encore plus le lien entre les deux elfes. Ils dansaient littéralement enlacés au cœur même de l'ennemi le terrassant de manière rapide et définitive.
D'ailleurs, soit ils en sortaient vainqueurs, soit ils mourraient en combattant.
Bref, il n'y avait presque jamais aucun témoin pour raconter leurs exploits, car même les enfants ainsi sauvés, étrangement ne se souvenaient de rien, mais il s'agit là d'un autre mystère qui entoure leur aura.
De passage dans un village, c'est une jeune réfugiée Daïkinee qui me fit prendre conscience de la façon particulière dont combattait le binôme. Elle attira mon attention, sur un insecte prodigieux, une espèce de guêpe chasseresse dont les proies étaient exclusivement des arachnides. C'était magique, comment cette petite prédatrice parvenait à retourner sur le dos une araignée, souvent dix fois plus imposante qu'elle, et avec célérité, adresse et précision, à lui planter son dard sous le thorax, sans être mordue par les chélicères acérés de sa proie. L'araignée ainsi paralysée, mais vivante servirait de garde-manger à la future génération de guêpes. Les guetteurs seraient beaucoup moins indulgents, pour eux il n'y a de bonne araignée, qu'une araignée morte.