La Confrérie d'Airain.
Il est, au sein de la société des Nains de Tir-Na-Bor, des noms infiniment respectés. Et parmi ceux-ci, celui de Bâl-Khan le Maître Armurier n’est pas le moindre. Rares sont les seigneurs Nains qui peuvent se vanter de porter une armure forgée par le Maître. Ses cuirasses, véritables chefs-d’oeuvre d’orfèvrerie, sont des pièces inestimables valant chacune une rançon de roi.
Bâl-Khan consacre désormais la majeure partie de son temps à la recherche et à l’expérimentation. Avec son frère cadet Fenggar, il a mis au point un nombre incalculable d’inventions destinées à améliorer la potentiel et la fiabilité des engins à vapeur. Mais aussi prometteuse soit-elle, une découverte technologique se doit avant tout d’être testée, aux risques et périls de l’expérimentateur. A cette fin, Fenggar a réuni autour de lui un petit nombre de Nains dignes de confiance et surtout assez téméraires pour tester des engins encore hautement instables.
Parmi eux se trouvent les propres fils de Bâl-Khan, Lor-Arkhon et Lothan, ainsi que Aegher, le premier assistant de Fenggar.
Lorsqu’ils se préparent à combattre ensemble, les membres de la Confrérie d’Airain apportent un soin méticuleux à la vérification de l’armement de chacun.
Bâl-Khan, le Maître Armurier des Khor, a confié à son fils cadet Lothan son invention la plus précieuse : un Thermoscaphandre doté d’un équipement de dernière génération. L’une des innovations de cette armure pourrait révolutionner l’armée naine : le fabuleux Compresseur Alcyone !
Régulateur de pression.
Les machines à vapeur des Nains sont redoutés dans le monde entier pour leur potentiel destructeur. Les guerriers qui ont l’honneur de les porter sont galvanisés par l’impression de puissance que leur procure ces artefacts. Mais seuls les plus inconscients se risquent à exploiter ces effroyables engins au maximum de leur potentiel : nul n’est encore à l’abri d’une surchauffe qui peut s’avérer fatale. Fenggar Main de Fer a consacré une grande partie de sa carrière à tenter de limiter les risques d’incidents sur les chaudières qui équipent les machines à vapeur. Pour l’heure, il n’est pas encore parvenu à atteindre le risque zéro. Mais l’une de ses inventions, le Régulateur de Pression, a largement contribué à améliorer la sécurité et la stabilité des engins à vapeur.
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L'ÂME DE LA MACHINE - Nouvelle officielle parue sur le site Rackham
Lothan pénétra dans les immenses forges que dirigeaient son père, Bal-Kahn. Le ronronnement des chaudières, le sifflet strident des soupapes de sécurité, le souffle brûlant des jets de vapeur, toute cette ambiance industrieuse avait marqué son enfance et lui évoquait un grand nombre de souvenirs. Celui que l’on surnommait la Bête d’Acier se faufila entre les mécaniciens, forgerons et Thermo-Prêtres qui s’activaient dans l’atelier, sans gêner le travail de ces derniers. Penchés sur les infimes rouages et les machineries complexes de quelque machine de guerre, les servants ne lui prêtèrent aucune attention.
Sans son armure hydraulique, sans cette aura terrifiante que lui procurait la cuirasse de métal et de vapeur, la présence de Lothan se faisait moins imposante. Il pouvait donc traverser les ateliers sans susciter des murmures de crainte ou d’admiration.
Il trouva son père tout au fond de la forge, assis devant la table de son étude encombrée d’une multitude de plans, mécanismes et notes manuscrites. Bal-Khan affrontait un automate de fabrication Cynwäll à un jeu de stratégie inconnu de Lothan. A tour de rôle, le Maître-Armurier et le construct Elfe déplaçaient des pièces sur un échiquier d’ébène et d’ivoire. L’automate représentait un seigneur de Wyde revêtu de ses plus beaux atours. Son visage de nacre n’exprimait aucune émotion mais ses longs doigts de cuivre manipulaient les pions avec grâce, sans trahir un quelconque défaut de mécanique.
Lothan ne voulut pas briser la concentration de son père et attendit quelques instants avant de manifester sa présence. Au bout de plusieurs minutes, le visage de Bal-Kahn s’illumina d’un large sourire après avoir déplacé une ultime pièce. Le buste de l’automate s’inclina alors en une imitation de révérence. Le Maître-Armurier se tourna ensuite vers son fils.
- « Ces jouets sont habiles, j’ai bien cru à une ou deux reprises qu’il serait en mesure de me battre. »
- « Impossible, père, vous êtes un des esprits les plus brillants d’Aarklash. Nul ne saurait défier votre intelligence, surtout pas un jouet Elfe ! »
- « Je te remercie de ce compliment, Lothan, mais ces automates sont réellement astucieux. Leurs mécanismes témoignent d’une science remarquable. »
- « Ils ne sont rien comparés à nos propres constructs ! Des jeux, des distractions, rien de plus. »
- « Détrompes-toi, mon fils. Ces machines imitent les mécanismes de la pensée humaine à la perfection. Ils ne sont pas loin d’une véritable intelligence artificielle… »
Lothan parut réfléchir quelques instants puis rétorqua à son père.
- « La science Naine est capable de tels prodiges. Vous, père, n’auriez aucun mal à créer une machine pensante. »
- « Peut-être… En tout cas je ne m’y risquerais pas. Connais-tu l’histoire de Kaelthan le Minutieux ? Non ? Alors laisses-moi te la conter… »
Bal-Kahn fit signe à son fils de s’asseoir pour écouter plus confortablement son récit. Lothan prit place dans un des larges fauteuils de cuir près de son père. Comme par enchantement, une servante apparut aussitôt, un plateau dans les mains. Elle portait une austère tunique de couleur sombre et ses cheveux étaient liés en un chignon sévère. Elle posa une tasse devant chacun des deux hommes et y versa de l’eau bouillante en baissant le regard. Une odeur âcre envahit la pièce quand l’eau entra en contact avec la résine de Kregh, puis la domestique s’effaça avec la même discrétion.
Bal-Kahn porta la tasse à ses lèvres, but lentement une gorgée, puis commença son récit.
- « Kaelthan était un Maître-Armurier des plus talentueux. Il avait créé les machines les plus complexes qu’on puisse imaginer, les armes les plus dangereuses qu’on puisse concevoir. Les sciences de la vapeur et de la mécanique lui doivent beaucoup et peu de progrès ont été réalisés après lui. Mais malgré les merveilles qu’il avait créées, Kaelthan restait insatisfait. Il pensait ne pas avoir accompli son chef d’œuvre, sa création parfaite. Son plus profond désir était de parvenir à recréer la vie à travers une machine, d’insuffler intelligence et sentiments aux rouages et à la vapeur. Il s’enferma dans son atelier pour concevoir son grand oeuvre. Seul, il multiplia les essais et les recherches car il n’avait pas souhaité s’entourer d’aides ou d’apprentis. Ses travaux durèrent des mois, des années. Son intelligence et sa science étaient incroyables, et sa volonté sans limites. Un beau jour, il mit la pièce finale à son automate : il avait réussi. Nul ne sait comment il parvint à ce résultat, mais il avait créé une machine capable de réflexion et d’émotion, un construct imitant la vie dans ses moindres détails. Elle était comme un enfant qui vient de naître, vierge de toute connaissance, innocente. Kaelthan voulait parachever sa création et en faire la plus parfaite créature qui puisse exister sur Aarkalsh. Il la confina dans le secret de son atelier et lui enseigna tout ce qui lui était possible de lui enseigner. Quand il lui eut inculqué ses propres connaissances, il se mit à lui lire tous les grimoires et traités qu’il pouvait trouver. La mémoire de son automate semblait infinie et il engrangeait toutes ses informations comme s’ils les buvaient. Histoire, mécanique, mythologie, bientôt aucun sujet n’eut plus de secret pour lui. Ce savoir gigantesque était néanmoins purement théorique, jamais l’automate n’avait quitté l’espace clos de l’atelier et ne s’était confronté au monde. Et ce qui devait arriver arriva… La machine pensante échappa un jour au contrôle de Kaelthan et partit explorer la cité alentour. Elle pouvait enfin voir de ses yeux de cristal le monde qu’elle connaissait à travers l’enseignement de son créateur, fouler le sol de ses pieds mécaniques, toucher les objets de ses doigts de métal. Elle, qui n’avait jamais connu que la présence du Maître-Armurier, rencontra aussi les Nains qui peuplaient cette cité. Nul ne sait vraiment ce qui arriva. Peut-être fut-elle bousculée par un passant, ou bien subit-elle les railleries d’un marchand et ne sut comment réagir. Peut-être était-elle tout simplement imparfaite, sa mécanique déréglée ? Nul ne lui avait enseigné à converser, rire, pleurer, et pourtant, dans son souci de perfection, Kaelthan avait fait en sorte que la machine puisse ressentir toutes ces émotions. Dans tous les cas, sa rencontre avec le monde extérieur se solda par un massacre. L’automate fut incapable de faire face à ce flux brutal de nouvelles informations et se sentit agressé. Il réagit par la violence. On ne lui avait pas appris à se battre, mais il était doté d’une force surhumaine et d’une résistance hors du commun. La machine chercha à échapper à la foule pour retourner à l’abri de l’atelier, mais elle fit dans son sillage des dizaines de victimes. Lorsque Kaelthan vit sa création arriver couverte de sang, il sut qu’il avait échoué et fut contraint de détruire sa précieuse machine. L’Assemblée des Anciens le condamna à l’exil et son nom fut frappé d’infamie… Ainsi s’acheva tragiquement l’histoire de la première machine pensante. »
Bal-Kahn regardait son fils méditer à l’issue de son récit. Après de longues secondes, il prononça enfin quelques mots :
- « Dois-je comprendre que la morale de cette histoire est que personne ne peut revendiquer le pouvoir des dieux et que c’est folie de vouloir créer un être pensant ? »
- « C’est sans doute ce que concluraient un Fidèle d’Odnir ou un cardinal de Merin. Mais je crois quant à moi que la leçon que nous devons tirer de cette histoire est toute autre. Quels sont les plus grands ennemis du peuple Nain ? Toi, qui as choisi la voie des armes, es plus apte que n’importe qui pour répondre à cette question. Tu sais que nos plus farouches adversaires sont les Rats de No-Dan-Kar. Pourquoi nous haïssent-ils à ce point ? Nous les avons asservis en croyant les éduquer et ils se sont libérés de notre tutelle dans la violence. Nos ancêtres ont cru pouvoir faire des Gobelins leurs instruments, mais c’était une grossière erreur de jugement. Nous ne pouvons pas façonner des esprits à notre convenance. L’histoire de Kaelthan et de son automate nous montre ce qui pourrait arriver si nous essayons de concevoir des machines pensantes, des intelligences artificielles. Ne commettons pas à nouveau les erreurs du passé. Je ne tiens pas à affronter une armée de constructs désirant s’affranchir de leurs créateurs… »