Mémoires maritimes - L'ascension de Varhek
Journal de Bord du Vautour,
La mer est calme aujourd'hui par ce beau temps et nous faisons route pour Cadwallon, chargés de Naphte pour changer. Les matelots sont impatients ce pouvoir se lâcher une fois à quai. Pour une fois qu'un convoi se passe bien. Aucune bagarre entre orques et le cuistot est plus en forme que d'habitude. On le ressent dans nos gamelles. J'ai donc un peu de temps devant moi. Comme le dernier journal de bord à sombré dans l'océan, j'en redémarre un nouveau. Et une fois de plus, je vais reprendre l'histoire afin de démystifier mon rôle et les idées qu'on se fait de mon clan… Enfin, de moi surtout !
« La puissance, c'est d'être en avance sur l' ennemi ! L'adaptation ne peut être sans le commerce ! »
Au début, je dirais que le clan du Flambeau, situé au nord du Bran-O-Kor, utilisait cet adage pour se donner un peu de légitimité. J'ai toujours entendu mes ancêtres dire que la souffrance est une compagne fidèle, qui s'attache depuis longtemps au destin des fils du Chacal. Depuis l'avènement de notre race, les orques ont dû se battre. Mais notre clan veut briser cette fatalité. Si on était considérés comme des brutes redoutables, on a tiré les leçons de notre souffrance et on a délaissé progressivement les traditions pour le commerce et l'argent, ce qui fait qu'on est depuis considérés comme des marginaux par notre propre peuple. La proximité de la cité gobeline de Gérikan y est pour quelque chose car elle a influencé irrémédiablement le fonctionnement de notre clan. Et pour cause, il s'y est opéré un investissement financier massif de la part de la communauté marchande gobeline. Le but est de soutenir au maximum l'exploitation des naphtiers orques sur la Terre des Braves. C'est pas que je suis contre, non non, mais il faut avouer que ça a eu pour conséquence une mutation profonde des membres du clan. Cette nouvelle société goûte maintenant à la richesse et à l’opulence que notre peuple ne connaît pas. Et puis ce qui doit agacer, c'est qu'on ne se contente pas que du forage de l'or noir. On s'est mis aussi à louer nos services dans le convoi de la naphte jusque dans le No-Dan-Kar et ailleurs.
En tant que chef du clan, Kehlran a un sens aigu des affaires et dirige le clan d'une main de maître. Je dirai qu'il a véritablement contribué à notre essor en concluant des pactes financiers majeurs avec les voisins du marais. Il est très futé ! Il a trouvé que l'un des moyens d'acheminement de l'or noir le plus rapide était par les voies navigables. Et voyant là l'occasion d'augmenter aussi leurs propres profits, les armateurs gobelins ont mis rapidement sur pieds des navires robustes, petits et maniables, adaptés à notre constitution. Les premiers équipages orques ont été formés à l'art de la navigation par des marins gobelins. C'était pas triste à voir, j'avoue. Je me souviens de nos premières fois. Beaucoup avaient le mal de mer, on a même eu un noyé. Enfin, c'est ainsi que les premiers caboteurs gobelins, des barges à fond plat pour les incultes, descendirent le fleuve Zokorn sous la protection étroite des nouveaux gardes du corps qu'on était, et à bord de cotres armés comme jamais pour la défense, je vous assure. La marine Orque ! Tout un programme qui aurait fait rire nos cousins des canyons. Mais qui pourtant, ça fonctionne redoutablement bien. Si Kehlran est un orque attaché à sa terre, il sait aussi l'importance de la maîtrise fluviale et maritime pour s'assurer la pérennité du commerce. Et voilà, c'est comme ça qu'il m'a désigné. Oh, j'étais déjà l'un de ses fidèles lieutenants et après tout, le stage de marin m'avait bien plu et j'avais démontré les meilleures aptitudes. Alors pourquoi pas prendre le commandement des opérations après tout. Il y a beaucoup plus d'occasions de se battre en mer qu'en restant au pied d'un naphtier.
On me demande souvent d'où vient mon étrange accoutrement. C'est simple, avant d'être Capitaine, j'étais un orque incendiaire et j'ai gardé mes vieilles habitudes. On dit de moi que je suis bagarreur et grande gueule mais bordel qu'on ose me le dire en face. On en discutera entre mes deux poings. Et puis j'ai déjà prouvé ma valeur dans la défense de mon clan et Kehlran m'a dit que ma robustesse n'avait d'égal que ma stratégie. Je ne sais pas trop ce que ça veut dire en revanche mais le chef l'a dit. Je sais que j'ai un esprit aventureux, enfin dès lors qu'il y a un risque et qu'on puise écraser des crânes. Bref, je suis le patron idéal pour la nouvelle flotte et personne n'a contesté ma place.
Si au début, mes missions ne consistaient qu'à encadrer la protection des caboteurs face aux pillards gobelins désespérés ou complètement inconscients pour s'attaquer aux embarcations… Non parce que sérieusement, certains recherchaient plus la mort que la gloire hein ! Bon, donc hormis ces idiots, la situation est devenue plus compliquée compte tenu de la configuration de la région. Il ne faut pas être un stratège pour piger. Pour faire simple, la route maritime la plus empruntée est celle qui part du lac Zok et qui remonte plein nord le long d'un bras du fleuve pour longer ensuite les berges de la forêt de Diisha. La suite du cours d'eau se prolonge vers la ville de Barg, puis les navires filent à toute allure vers l'embouchure du fleuve en dépassant la cité de Bouche du Rat. Mais voilà, l’île de Zoukoi n'est plus qu'à quelques miles nautiques. Et c'est bien ce qui complique la situation. Et la route continue entre Bouche du Rat et Klûne puis vers les eaux libres. Entre toutes les races présentes, le trajet est des plus délicats. Et bien sur, Je ne vous parle pas des expéditions pour Cadwallon. Là aussi, il y aurait largement à redire.
Enfin, tout ça pour dire que j'avais déjà fort à faire à repousser les attaques des chasseurs Wolfens qui parcouraient la bordure de la forêt sacrée. Et quand ce n'était pas les solitaires ou les repentis qui se joignaient au combat. Mais soyons clair, ce n'était jamais là que des conflits pour avertir nos navires qu'ils longeaient des terres sacrées. De toute manière, les gobelins avaient fini par repousser les loups à force de massacrer les rivages en les rendant aussi sales et boueux que possible. Non, ce qui fait qu'on a commencé à avoir des problèmes, et surtout ce qui a fait que j'ai gagné mes vrais galons de capitaine tout comme le respect de tous, c'est lorsque le clan du Roc noir entra en conflit ouvert avec nous.
Il n'est pas besoin de rappeler qu'on nous reproche le fait de souiller la Terre des Anciens et de se livrer au commerce. Ok, on a bien compris ! On a bien saisi que ce n'était pas du goût des autres clans. J'en ai claqué quelques-uns qui se sont permis de me dire ouvertement qu'ils n'y voyaient que débauche, corruption et disgrâce. Non mais sérieusement, je suis fier d'être un orque et je n'ai pas à rougir de mon parcours. J'ai pillé des navires à l'autre bout du continent. J'ai rencontré des peuples improbables. J'ai même eu ma revanche en coulant un navire Syhar un peu trop présomptueux et j'ai pensé à mes ancêtres, croyez-moi ! La technologie n'est pas une honte et les conflits ne nous épargneront pas si on ne fait que contempler les étoiles. Bref, le clan du Roc Noir, car c'est lui qui pose problème, va bien plus loin dans son dégoût puisqu'ils se plaignent d'être confrontés à la dérive de notre clan. Et comme si la plaisanterie n'était pas encore assez bonne, ils se sont liés d'amitié avec les Yakûsa. Sincèrement, je respect ces gobelins et leur recherche de sagesse. Mais où leur droiture ne me gène pas, la bêtise du Roc Noir de nous faire la leçon après leur subite illumination aux arts martiaux me fait éclater de rire. On se moque de qui ?
J'ai formé des officiers pour répondre à cette menace en mer. Au début, on a été confrontés aux attaques du Roc Noir depuis la terre ou sur les berges mais très vite, le conflit s'est poursuivit sur mer et dirigé par cette crapule de… Rien que d'écrire son nom me donne une violente envie de frapper quelqu'un. Cet avorton d'Holok ! Aussi grand que bête, c'est lui qui s'est lancé dans une croisade contre moi. Mais cette brute stupide ne m'arrive pas à la cheville. Et j'ai beaucoup appris. J'ai donc fait évoluer ma flotte avec l'appui de Kehlran. On a beaucoup investi et on a formé un véritable protectorat maritime, partant du Fleuve Zokorn mais s'étendant à toute la mangrove, aux marécages nauséabonds et à la cote du No-Dan-Kar. Très vite, le Roc Noir s'est ravisé et a tempéré ses attaques stupides. Ils n'ont pas l'envergure de maîtriser leurs bateaux comme nous. Ils se cachent derrière leurs foutue Sagesse mais ils valent rien. Il ne s'en vante pas mais Holok a déjà pris une bonne dérouillée contre moi et mon équipage. Il est rentré à la nage sur son île.
Le calme est revenu en partie et comme notre flotte a pris un peu d'envergure, j'ai proposé à notre chef de diversifier nos profits en mêlant protection et pillages. Appelez-nous pirates si vous le voulez mais moi je dirai que nous sommes des corsaires ou des frères de la cote, ça sonne mieux.
Il a fallu s'imposer en mer. Mais j'ai réussi à assurer une bonne défense des marchandises et des routes maritimes. Avec l'approbation de Kehlran, j'ai passé quelques des accords commerciaux avec Cadwallon mais ça reste exceptionnel. Le chef me fait confiance et c'est une vraie marque de respect je trouve. Dans les affaires, il y a une règle que je me fixe. Je ne me mêle jamais aux affaires gobelines et je ne prends jamais part dans leurs guerres intestines. Bien qu'on n’est pas officiellement rivaux, le contact avec les hommes du Capitaine Krill n'est pas toujours au beau fixe et des disputes éclatent parfois pour la l'appropriation d'une prise maritime. Et si les gobelins font, je l'avoue, largement jeu égal lors d'un combat naval, il ne faut pas trop aller nous chercher au corps à corps. Notre réputation de furieux ou de redoutables n'est pas volée. Mais heureusement pour eux, les affrontements se font rares puisque les gobelins de Krill sont surtout basés à Cadwallon. D'ailleurs, ce serait drôle qu'on les croise en mer aujourd'hui. Il aime pas quand je l'appelle le capitaine Crabe !
Bref, je suis redoutable en mer et j'ai pas peur de grand-chose. Ou bien si, que « La Grenouille » fasse une connerie pendant que je suis ici à écrire et fasse râler tout l'équipage. A chaque fois, je dois m'interposer pour lui sauver la vie. Même s'il saurait sûrement se débrouiller seul je suppose. J'aurai dû le bouffer quand j'en avais l'occasion, il m'apporte autant de victoires que d'ennuis. Enfin, j'ai pas eu d'ami plus fidèle que lui depuis que mes hommes ont goûté au parfum enivrant du rhum. Et puis je trouve ce navire véritablement mieux que les autres. Il est très confortable. Je vais tenter de ne pas le détruire trop vite celui-là. On me reproche d'avoir tendance à écrémer les navires sur mes assauts musclés. Je ne le nie pas et j'en suis même très fier. C'est d'ailleurs ma petite marque de fabrique bien de chez moi. Une manière de combattre qui met l'effroi dans le cœur des marins. Dès qu'ils reconnaissent notre pavillon, ils sautent d'avance à l'eau pour éviter d'être écrabouillés ou rôtis. Mourir percuté par un abordage d'orques en pleine mer, j'avoue que ça doit en surprendre plus d'un.
Allez J'arrête là mon autobiographie ! J'ai entendu quelque part que les grands marins de ce monde faisaient ça alors je m'exerce un peu. Mais j'ai faim et j'entends de l'animation sur le pont. J'espère que le cuistot assurera au soupé. Je me sens d'humeur à attaquer le premier bateau venu pour couper cette monotonie ambiante. Cadwallon est encore à plus d'une journée de mer et je m'ennuie ferme.
Capitaine Varek – an 998 – Mer de Söl à bord du Vautour
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Mémoires maritimes - Le Gniard, la Brute et la Poudre.
La nuit était sombre. La lune voilée par une brume marine dessinait ça et là des silhouettes inquiétantes au dessus des eaux. Le vent était calme et la mer à peine ridée. Mais la brise de mer était suffisante pour gonfler les voiles. Le « Vautour », un cotre pirate, filait doucement le long de la rive boueuse des marais du No-Dan-Kar. On apercevait déjà les lueurs de Zûog, une ville ruche gobeline aux attraits d'une véritable décharge. Au nord, on distinguait encore dans l'obscurité la crête découpée des Monts de Zoukoï. Le capitaine Varhek dit « La Bouche » à cause de sa grande gueule en toute circonstance, s'était donné assez de mal pour contourner loin en mer cette île sinistre lors de leur retour de la mer d'Ephren. Trop loin en mer peut-être ou trop proche des terres inconnues pour les superstitieux. C'est bien à cause de ce détour que l'équipage avait essuyé une avarie. Ils devaient réparer au port. Le gouvernail était dans un sale état après un sale coup de tabac en mer. L'équipage préférait éviter d'attirer l'attention en se faisant remarquer à Klûne. Donc la décharge qu'était Zûog était une bien meilleure option pour conserver un soupçon de discrétion. Les lueurs de la ville et surtout sa puanteur s’intensifiaient au fur et à mesure que le navire approchait.
- « A l'arrivée, tu te charges de marchander le matériel pour la réparation. Si je laisse notre équipage s'en occuper, je ne verrai pas ma pièce tant que tous les barils de rhum de cette satanée ville ne soient taris. » Grogna Varhek par dessus son épaule comme s'il parlait pour lui-même.
- « Z'êtes pas fou cap'taine ! Assurément, je vais troquer auprès d'une vieille connaissance. Sans manquer de respect à votre grandeur, les matelots orques y sont pas bons pour les affaires ! M'y connais moi en troc hein ! » prononça une petite voie sortant de derrière le tricorne de l'orque.
- « C'est bien ce qui me fait peur « La Grenouille » ! C'est bien ce qui me fait peur ! »
Un gniard au visage grimaçant surgit de derrière le chapeau du capitaine et sauta sur le pont. Le gnome portait un drôle d'accoutrement pirate constitué d'un bandana sur le front, d'un gilet de cuir tanné et d'un corsaire déchiré sur les fesses. Il se ruât vers la timonerie. Un vacarme s'en suivi dans les cabines du navire comme si des hommes luttaient ou se battaient à l'intérieur. Le bruit passa de la poupe à la proue. Puis plus rien. Le calme des flots et du vent dans les voiles était revenu. Mais, une petite ombre s'éjecta du pont et grimpa au mât de misaine tel un boulet de canon. A la lueur pâle de la lune, le gniard se tenait en haut des cordages en brandissant une sphère noire dans sa main.
- « Pourront pas refuser mon offre Cap'taine ! Pourront pas m'avoir cette fois encore ! »
Il tenait une bombe à mèche dans la main qu'il brandissait comme un trophée. Et le gniard regardait en direction de la ville avec un œil mauvais. La lueur de ses yeux inspirait bien plus la démence qu'autre chose. Sans doute était-ce la contrepartie de séjours trop longs en mer avec un équipage entièrement constitué d'orques. Ou il était tout simplement fait ainsi. Mais la vie sur un navire du Bran-Ô-Kor était autrement plus ardue que leurs rivaux de la Dent Noire il faut dire. Et le Clan Gérikan avait pris goût pour les assauts pyrotechniques de grande envergure. La navigation n'était pas le point fort mais été devenu nécessaire pour le bon déroulement des affaires.
- « La Grenouille ! Écoute-moi bien si tu ne veux pas que je te bouffe les cuisseaux au souper ! Tout ce qui m'importe, c'est que tu me ramènes ce satané timon de rechange ! Et pas une veille pièce hors d’usage, hein ! Vas pas faire non plus de vagues ici alors qu'on a des affaires qui pressent ! » grommela Varhek d'un air désespéré.
Ses mots trahissaient la lassitude face à un sourd qui n'écoute jamais les ordres. L'orque s'en retourna vers sa cabine. Il avait une bonne habitude de son compère au fil du temps passé sur l'eau. Si ce microbe pouvait être une vraie plaie et attirer les ennuis comme personne, il avait aussi une vertu propre aux gobelins sûrement, qui avait plus d'une fois sauvée la vie du Capitaine bougon. Ce qu'il y a de particulier avec les gobelins dirons-nous, c'est leurs ressources insoupçonnées face aux situations critiques et désespérées. Et « La Grenouille » savait trouver la moindre opportunité pour survivre, même lorsque tout était perdu. Il y avait sûrement neuf vies de rat ou tout du moins une chance insolente dans cette demi-portion.
C'était comme cette fois où Varhek avait reçu l'ordre du chef de clan lui-même, Khelran, d'attaquer la flotte Akkylannienne avec trois navires remplis d'orques remontés comme des pendules et armés jusqu'aux dents. Si une poignée d'orques, dont les nomades Sarkaï, entretenait une relation de bon voisinage avec les fidèles de leur stupide Dieu unique campés dans leur ridicules Commanderies, ce n'était pas vraiment la même ambiance du coté de la Mer de Söl où sévissaient les frères de la côte. C'est à cette occasion que le Capitaine Varhek dit « La bouche » rencontra pour la première fois son compère et gniard Trinitrotoluène ou simplement appelé Trinité par les gobelins de la Dent Noire. Mais ici parmi les orques, il était connu sous le sobriquet de « La Grenouille ».
Un sacré souvenir cette nuit-là. A bord de 3 cotres armés pour le pillage, la flotte de « La Bouche » avait navigué jusqu'au crépuscule en filant le train discrètement à un convoi marchand Griffon constitué d'une Gabare et de 2 canonnières pour escorte. Il faut dire que Khelran avait eu vent d'un transport de poudre à canon en provenance de Cadwallon et pour la direction de la Commanderie de l'Est et il voulait mettre le grappin sur ce butin par tous les moyens. Pour le clan Gérikan, la poudre et la naphte étaient bien plus précieuses que l'or, enfin quoi que. D'ailleurs, le clan avait la réputation de véritables brutes, certes robustes, mais ayant opté pour la voie de la technologie même si rudimentaire. Et le clan vouait une adoration presque fanatique à tout type de flamme, poudre ou explosif qui se pointait sous leurs nez. Tous s'accordaient pour le dire, Khelran était un chef très respecté et dont les choix tactiques payaient toujours pour le progrès du clan.
L’œil collé à sa longue vue, Varhek observait la flottille marchande filer à l'horizon. On ne distinguait presque plus que les lueurs des lanternes à bord des navires impériaux. Puis le capitaine se redressa satisfait. Il ordonna aux matelots postés sur la dunette de rompre les amarres situées à la poupe du navire. Admettons-le, c'était une technique bien connue des pirates. Il suffisait de se freiner au maximum avec des tonneaux tractés pour feindre la lenteur des embarcations puis fondre par la suite sur les victimes à la tombée de la nuit. Et puis les pirates avaient largement l'avantage de la vitesse sur leurs petites embarcations et bien souvent aussi, de la surprise.
Les navires se mirent à filer à toute vitesse sur l'eau et fendre les flots en direction du convoi dont ils se rapprochaient rapidement. Pour les candides, il était assez intrigant de constater que les navires orques pouvaient être très agiles sur l'eau. Ce n'était certes pas aussi flagrant quant à l'aptitude à flotter dans l'eau de leur équipage me direz-vous. « La Bouche » fit rassembler ses hommes. Matelots, flibustiers et gueules cassées à la peau verte étaient sur le pont. Tous amassés, ils attendaient en grognant les instructions du Capitaine. De belles mâchoires carrées et des épaules robustes pour des boucaniers orques de tout poil ! Jambes poilues ou jambes de bois, armés de sabres, rapières ou de pistolets à naphtes pour les vétérans, le goût d'une bataille proche semblait enflammer leur regard vide. Et l« La Bouche » finit par prendre la parole.
- « Mes frères, mes comparses ! Il est parfois plus facile de vivre sans tête que de vivre sans poudre ! Ce soir, mes amis, aux nom des frères restés sur la côte, nous allons prendre possession de ces navires ! Moi, le Capitaine Varhek et au nom du clan, j'en endosserai le commandement ! Maintenant, mettez vous tous à vos postes ! »
Les forbans se jetèrent à leurs places respectives. Certains étaient campés sur le pont contre le bastingage quand les autres s'accrochaient déjà aux haubans pour bondir lors de l'abordage, sabre dans la gueule. Les embarcations arrivaient à toute allure sur la flotte marchande. Chaque cotre semblait adopter une manœuvre d'accostage des navires ennemis par le tribord arrière. Les embarcations ne semblaient pas ralentir leur course et l'impact semblait inévitable ! Le clapotis des flots accentuait la tension avant la bataille ! Soudain, une voie forte retentit tout juste avant l'impact !
- « Au nom du Clan, libérons nos ennemis du poids de leur cargaison ! Brûlez, tuez et pillez ces bateaux ! Mes frères, je fais cela pour vous donner du courage et ne pas reculer en ce moment tragique ! »
Il leva haut un flambeau dans sa main puis le jeta droit dans un baril situé sur le pont. Le contenu s'embrasa immédiatement et les flammes gagnèrent rapidement les cordages et les voiles du grand mât juste au dessus. Une drôle de coutume d'orque pirate il faut croire. Plus possible de reculer !
- « A l'abordaaaaaaaaaaaage ! »
Un impact fracassant se fit entendre et des éclats de bois volèrent partout. Un rugissement bestial d'orques couvrit le bruit des flots. Les Griffons n'avaient pas attendu le son des cloches pour bondir sur le pont et faire face à l'assaillant après la violente secousse. Il y avait des débris partout sur la Gabare et les premiers duels avaient déjà lieux. Des conscrits et des fusiliers tentaient de tenir face à la marée orque qui déferlait de toute part sur le pont, coupant et brûlant tout sur leur passage. Accompagnant ses hommes, Varhek chargeait comme un buffle dans les rangs ennemis et brûlait les malheureux à sa portée. Bien que le vacarme régna sur tout le navire, on pouvait entendre les ricanements puissants du champion incendiaire. L'odeur de la poudre se mêlait à l'odeur des flammes. Le pont principal était envahi d'une épaisse fumée teintée orange par le feu. La lueur du brasier éclairait la mer de tout part. Le mat du navire orque finit par grincer et finalement, tomba sur le navire marchand, apportant les flammes dans sa chute. La panique était partout. Alors que les orques, menés par Varek et son goût pour la brutalité, avaient déjà maîtrisés le pont, de nouvelles troupes ennemies arrivèrent. Des fusiliers nettement plus efficaces cette fois-ci, étaient campés derrière des templiers lourdement armurés. Le groupe ainsi constitué faisait un vrai massacre dans les rangs pirates. Le combat serait bien plus âpre contre ces nouveaux défenseurs en armure. Rien n'était joué mais Varhek se replia derrière le mât effondré pour élaborer une stratégie.
Sur les canonnières, la situation était tout aussi délicate. Les orques ne semblaient pas arriver à prendre l'ascendant sur leurs victimes. Les coups de feu retentissaient de partout et les blessés se comptaient maintenant par dizaines. Sur la canonnière de gauche, un coup de feu malheureux termina sa course tout droit dans un baril de poudre stocké au pied du mât. Sous les yeux médusés du chef orque, une explosion prodigieuse se fit entendre et le navire vola en éclat. Éventrée dans son milieu, le navire griffon sombra rapidement emportant avec lui le cotre orque dans son agonie. Les orques se noyaient les uns après les autres dans les abîmes marins.
- « Mes frères du Flambeau, tenez bon et prenons ce navire ! Plutôt la mort que le déshonneur ! » cria Varhek aux hommes qui se battaient avec rage.
Les orques reprirent le combat avec encore plus de rage. Mais il sentait que la situation échappait aux pirates et qu'il était toujours bon de s'assurer un plan B dans ce genre de cas. Il abandonna le front pour un temps. Il n'était plus si certain de pouvoir prendre ce bâtiment avec autant de résistance à bord. Ses frères étaient certes endurants mais pas immortels pour autant.
« Vous deux suivez moi ! » Dit-il à 2 gaillards qui le collaient de prêt en les désignant de sa pétoire à Naphte.
Dissimulé par la cohue générale, le trio se glissa dans une large écoutille située sur le gaillard avant. Le gros de la défense Griffon étant situé à l'arrière du navire, ils pourraient se faufiler jusqu'aux cales du navire sans éveiller la vigilance des templiers et sans trop de résistance dans les coursives. Et quelques conscrits qui leurs barrèrent la route ne rencontrèrent que le froid du sabre dans leurs armures étincelantes. Un véritable jeu d'enfant après tout se disait le capitaine pour lui-même. Ils étaient devant l'accès aux cales. L'un des orques enfonça la porte en bois tenue par une grosse chaîne. Sous l'impact de son énorme épaule, tout l'encadrement en bois éclata avec la porte faisant voler l'ensemble dans la cale. Dans la pénombre, de beaux barils de poudre étaient stockés là, attendant d'être cueillis comme la divine Providence. Très vite, une chaîne se forma pour remonter la cargaison sur le pont. Pendant ce temps, Varhek inspectait le fond de cale à la recherche de belles trouvailles. C'est là qu'il tomba sur une petite cage en fer dissimulée sous une grosse toile. En soulevant l'étoffe de ses gros doigts, il se fit agripper la phalange.
- « Chef pitié, libérez-moi ! Je referai plus ! J'ai soif! » gémit la cage.
Un gniard ridiculement affublé d'un corsaire déchiré et d'un bandana rouge s'agitait dans sa cage comme un petit diable, implorant à l'aide.
- « D'où viens-tu gobelin ? » grogna Varhek d'une voix un peu pressée.
- « M'appelle Trinité ! Suis un pirate ! La Dent Noire ! Et mon maître cé Ecoutyl ! Un laquet de ce Krill ! Y'a été capturé après combat raté a mal tourné ! Mes copains y sont tous tombés à l'eau ! Plouf ! J'crois vais finir pâté pour chiens du guet. »
- « Ahahaaaa… Tu as tout l'air d'une grenouille mais pas sûr que tu sois assez goûtu pour leur repas ! Allez viens, j'ai une mission pour toi si tu es assez malin !
L'orque broya la trappe de la cage d'une seule main et le gniard bondit dans l'ouverture. Il avait curieusement récupéré toute sa vigueur et sa vitalité.
- « Vais les brûler ! Vais me venger ! Y mettre dans cage comme des rats ! » sifflait le gobelin d'un regard vicieux comme s'il fixait les soldats Griffons !
- « Héla doucement minus, n'oublie pas que ta vie m'appartient et que tu as déjà une première dette envers moi. Je suis le Capitaine Varhek et... »
Mais le gniard ne l'écoutait déjà plus et se dirigeait vers un tas de caisses. Il en sorti 2 explosifs !
- « Hey, si tu ne veux pas que je te coupe en deux, tu vas reposer ça doucement demi-portion ! » lâcha la brute en dégainant son sabre.
- « Je ne compte pas détruire le navire mais me l'approprier ! » continua-t-il !
- « Moi pouvoir faire diversion si toi le veux capitaine ! Moi vouloir me battre pour toi contre ces chiens ! »
- « Ok ! Garde tes joujous avec toi et suis-moi, on remonte sur le pont aider nos frères d'arme !
Pendant qu'une partie des tonneaux été déjà remontés sur le pont, les nouveaux acolytes revenaient à la surface et constataient que la situation dérapait largement ! Les orques sans commandant s'étaient jetés comme des sourds sur les templiers : Une vraie boucherie du coté de la timonerie ! Mais le mât enflammé du cotre et qui était tombé sur le pont avait transmis le feu. Ce dernier gagnait en puissance offrant un léger écran !
- « Oh bordel mais je suis entouré d'incapables ! Raaaaaaaaah ! On a plus de navire, on va bientôt plus avoir de poudre ! » cracha-t-il en ressortant sa pétoire à naphte.
- « Perdu pour perdu, on va l'incendier ce rafiot ! »
- « Toi et toi ! Chargez-moi tout ça dans une chaloupe ! » adressa t-il aux deux bougres qui finissaient de remonter les tonneaux.
- « Et toi ! Tu vas aller faire diversion dans les ponts inférieurs avec tes friandises ! Ça nous fera gagner un peu de temps !» Dit-il en pointant le gniard de son sabre !
Le gobelin ricana comme un tordu et plongea la tête la première dans l'écoutille pour s'enfoncer dans le ventre du navire. Les orques qui avaient percé jusqu'à la dunette se faisaient maintenant massacrer au corps à corps. Heureusement pour le capitaine, le mât en feu coupait le navire en deux et la fumée dissimulait ses intentions aux satanés Griffons. À Tribord, la deuxième canonnière penchait dangereusement sur le flanc droit. Sans doute que leur chargement ou une voie d'eau avait mis en péril le navire. Mais il ne fallait plus compter sur cette prise pour s’enfuir. Il ne restait plus qu'un navire, la gabare et elle était en feu. Maigre consolation, il n'y aurait bientôt plus d'embarcation pour empêcher le capitaine de prendre le large.
La chaloupe était déjà bien chargée et les deux forbans la glissait précautionneusement à la mer. Faute de ramener une flottille au chef de clan, ils auraient accompli une sacrée mission, le maudit Holok ! Mais la poche de résistance des templiers retournait la partie et achevait vite un par un les miséreux qui se laissaient trop emporter par le combat, n'élaborant aucune stratégie viable. Bientôt, le pont était réinvesti par quelques templiers et conscrits courageux. La situation tourna au drame lorsque le stratagème des voleurs fut découvert. Il ne fallu pas longtemps pour que les fusiliers prirent pour cible le capitaine et ses deux pirates. Varhek évita de peu un tir qui traversa son tricorne en laissant un joli trou. Il plongea derrière une caisse. Les deux patauds n’eurent pas la même chance et prirent une volée de plomb les blessant mortellement. Les drisses s'échappant de leurs mains inertes, la chaloupe heurta l'eau. Le chargement tint bon par miracle. Le capitaine était sidéré que tout soit fichu. Et la petite troupe de soldats s'avançait déjà sur lui, achevant les orques encore combattants sur le passage. Varhek savait que tout était perdu alors il sorti de sa cachette pour faire feu avec son pistolet à naphte, sabre au clair. Plutôt mourir que de voir son corps pendu à la grande vergue. Il regrettait cependant de ne pas finir avec panache, une bouteille à la main. Il carbonisa instinctivement le premier rang. Puis il abattit son sabre qui trancha net un templier. D'un coup de savate, il propulsa un autre qui vola littéralement au dessus du pont. L'ennemi hésita une seconde à reprendre la charge en voyant leurs frères tomber tout net. Mais la stupeur fut de courte durée et les militaires, entraînés et discipliné reprirent le combat.
Alors que Varhek allait se faire assaillir par le nombre, la providence tant attendu arriva. Le pont se souleva brusquement en une énorme verrue. Une explosion magistrale fit surgir une boule de feu gigantesque beau milieu du pont. Ce dernier vola en éclat dans un fracas assourdissant. Quelques Griffons et rescapés orques furent éjectés à la mer, les autres transpercés par des pièces de bois qui volaient dans toutes les directions. Une seconde détonation tout aussi violence souleva ensuite les cabines arrières, la timonerie et le mat d'artimon. Le bateau était totalement désarticulé comme un vieux pantin de bois inanimé. Le Diable lui-même ou le Dieu Chacal s'offrait le navire en entier au dîner. Les quelques survivants étaient sur le pont, gémissant, éparpillés parmi les débris et les flammes. Le grand mât menaçait à son tour de s’effondrer.
- « C'est quoi se foutoir ! Mon navire ! Mon beau navire ! Quel est le con qui l'fait sauter ! » retentit une voie étouffée.
Varhek avait repris ses esprits. Il était à moitié enseveli sous des pièces de bois et ses vêtements sentaient le brûler. D'un moulinet de ses bras massifs, il fit voler les débris autour de lui. Pourtant, une douleur atroce le lançait dans la jambe gauche et l'empêchait de se relever. Ce qu'il restait du membre était en lambeau déchiqueté et le sang coulait abondamment sur les nervures du bois. En redoutable capitaine, il déchira la manche de sa veste et se fit un garrot pour stopper l’hémorragie.
- « Crénom de bon Dieu ! Mais y a pas un orque foutu capable de m'aider dans ce foutu merdier ? » dit-il en se relevant péniblement.
Il avait récupéré une solive de bois dont il se servait comme béquille. Autour de lui, il n'y avait que des morts dans les deux camps. La gabare grinçait d'un son sinistre. La coque devait être touchée car des fumerolles de vapeur d'eau s'échappaient des écoutilles. Le molosse se débarrassa de son harnais à Naphte et sautilla jusqu'au bastingage. La chaloupe était toujours en bas et les barils de poudre toujours intacts. Un bouillon d'écume sortant de la coque ne laissait plus d'espoir de rester. Et de toute manière, il n'y aurait guère plus d'équipage pour manœuvrer le bâtiment. Alors que l'orque se glissait péniblement par dessus le garde-corps, il entendit dans son dos le son d'un fusil qu'on arme.
- « Bouge plus monstre, tu es fait comme un rat ! » Cria un fusilier qui pointait son mousquet vers l'orque.
L'homme était en sale état mais venait d'armer le chien et caressait déjà la détente de son fusil.
- « Je vais t'éclater la t... »
Le tireur ne finit pas sa phrase. Alors qu'il allait faire feu, une petite boule verte traversa tout le pont pendu à une drisse de mât. Et surgissant comme un éclair, ce dernier enficha son poignard à la base du crane du fusilier. Avec un ricanement de dément, la petite chose sauta sur le bastingage, poussa Varhek littéralement dans l'eau et effectua un magnifique plongeon dans l'océan.
Surpris, le capitaine orque encore étourdi passait de la chaleur des flammes au froid mordant de l'eau. Il se sentait couler au fond de l'océan. Pourquoi n'avait-il pas eu de don pour la nage. Il sourit à l'idée de mourir de la sorte, bêtement. Mais il se sentit hissé vers la surface. Il avait la tête hors de l'eau et respirait enfin. Le spectacle était particulier. Face à lui, une canonnière était sur le flanc et le cotre orque coulait à pic, la poupe à la verticale hors de l'eau. Les flammes dansaient sur les flots éclairant débris et cadavres. Puis, il fut hissé dans le canot.
- « Eh eh ! Moi essuyer ma dette cap'taine ! T'as vu ? Toi en vie et « Trinité » va veiller sur chef orque ! »
Il avait fait un ingénieux mouflage avec des cordages et un crochet pour extirper l'estropié des fonds marins. Mais par quel miracle avait-il pu faire ça si vite ? Une fois l'orque à bord, le gniard bondit et trancha d'un coup sec les amarres de la chaloupe. Posté à l'arrière de l'embarcation, il se mit à godiller frénétiquement avec la rame. Les compères s'éloignaient doucement du grand navire en flammes et dont la ligne de flottaison avait déjà disparu sous la surface. Ils avaient échappé bel au naufrage.
Le duo improbable s'enfonçait dans la nuit, seuls rescapés d'un véritable massacre maritime. Varhek se redressa péniblement. Son moignon le faisait souffrir. Pour se redonner du courage, il glissa son postérieur jusqu'au coffre de vivres de survie et en sortit un gros jambon sec. Instinctivement, il sortit son poignard pour s'en couper un morceau et regarda avec décomplexion son petit sauveur. La bouche pleine de nourriture et mâchant bruyamment, il retira son tricorne pour en vider l'eau contenue et ricana puissamment, comme il savait si bien le faire.
- « Bon Dieu qu'on me coupe l'autre jambe si c'est pas vrai ! On l'a notre poudre ! Et pas qu'un peu la Grenouille ! T'as vu tous ces tonneaux ? Tu es un sacré diable ! Tu as bien failli me tuer ! A deux reprises mon bougre ! Au moins si j'ai un creux, je te boulotterai si tu veux bien ! » Dit-il en ricanant grassement.
Alors que le gniard le regardait perplexe, Varhek se glissa dans sa direction en brandissant son poignard. Bouche bée, le gobelin allait se faire boulotter. Enfin, le pensait-il.
- « Ah ah aaaah ! Quelle tête tu fais mon vieux ! Je t'ai dit que je te gardais pour plus tard ! Je viens tout juste de manger ! » ricana le capitaine en tournant le dos au gobelin.
Il posa ses fesses sur une traverse et y planta son poignard à coté de lui. Il enfourna les avirons dans leurs dames de nage et se mis à ramer comme un sourd ! Le gniard manqua de chuter à l'eau devant l’énergie déployée par son terrible compagnon. Il finit par poser ses fesses à son tour et se mis à rire nerveusement !
- « Je crois que si chef rame si vite, on aura touché terre avant qu'il n'ait faim ! »
Les deux naufragés se mirent à rire bêtement, dérivant dans la noirceur de l'océan. Un lien inexplicable s'était forgé cette nuit là entre la force brute et la petite ruse. Ils dérivèrent pendant 6 nuits et l'orque se découvrait presque un appétit pour les cuisseaux de gniard. Mais l'équipage d'infortunés fut frappé par la Divine Providence lorsqu'un navire, « La Méduse », croisa leur route avant que la soif, la faim ou le cannibalisme ne les rongent. Certes, Varhek s’aperçut très vite qu'il s'agissait d'un navire dirigé par des rivaux de la Dent Noire. Avec ces foutus gobelins, il était maintenant évident que la précieuse cargaison serait la monnaie d’échange pour leur sauvetage. Un pirate est rempli d'honneur mais le troque toujours volontiers contre sa vie ou de l'or. Le Capitaine négocia tout de même de conserver un quart de la cargaison afin disait-il, d'entretenir les traités de bon voisinage entre les deux clans. Pour que la Grenouille reste un gniard libre, il avait été convenu entre les deux naufragés qu'il jouerait un rescapé atteint d'une folie incurable, ce qu'il fit fort bien au plus grand agacement de ses congénères gobelins. Une fois à terre à Klûne et remis sur pied, Varek se fit fabriquer une magnifique jambe de bois par un charpentier du port. Et il reprit bien vite ses mauvaises manières de capitaine en brayant toujours plus fort. De retour au lac Zok, son repère, il reconstitua très vite un équipage et un navire armé jusqu'aux dents pour reprendre la mer. Khelran n'avait que moyennement apprécié la dépense de trois navires armés pour quelques caisses mais avait passé l'éponge. Les affaires sont les affaires après tout. « La Bouche » avait aussi beaucoup de réussite et il allait vite se refaire. Et cette fois-ci, la « La Grenouille » l'accompagnait à bord, chose extrêmement rare il faut l'avouer chez les orques. Ces derniers ne laissent aucun étranger monter à bord ni se mêler de leurs affaires. Bien que l'entente avec la Dent Noire reste cordiale, aucun ne se mêle vraiment des affaires de l'autre. Pourtant, officieusement, c'était bien cet increvable de « La Grenouille » qui secondait le Capitaine Varhek.
Quel souvenir quand même. Le capitaine esquissa un léger sourire alors qu'ils accostaient au port de Zûog, dans l'éclat faiblard des lanternes du quai. Il se dirigea vers sa cabine. Il savait que chez les gobelins, se mettre à quai signifiait toujours une farandole de grattes papiers en tout genre à qui graisser la patte pour quelques Klûs. Ça l'amusait de voir défiler dans sa cabine toujours plus de faux notables endimanchés comme des épouvantails, réclamant une taxe au nom d'un titre fantoche. D'ailleurs, on pouvait déjà voir une fil d'attente de clowns embourgeoisés sur le quai.
- « Au lieu de rester bouche bée devant ces petits monarques, va donc nous chercher une bouteille de bourbon, je sens qu'ils vont me filer mal au crâne ! » Aboya-t-il en se tournant vers son boscot.
Le marin détala illico s'exécuter devant l'apparente mauvaise humeur du capitaine. Varek partit dans ses quartiers en ricanant comme un bossu. Il avait toujours l'impression qu'une scène de théâtre s'invitait sur son navire lors de ce type d'escales. Et la présence de son bateau au port laissait à « La Grenouille » une liberté d'action suffisante pour fouiner et trouver la pièce recherchée. Et si possible sans la payer. Après tout, il savait que son compagnon était un peu sa bonne fortune, increvable et plein de ressources. Pourvu juste qu'il n'enflamme pas le quartier avec ses joujous !
Journal de bord de Varhek dit « La Bouche », Capitaine du « Vautour »