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Sienne |
Classe : Voleuse arcanique |
Peuple : Guilde des Voleurs |
Type : Champion |
Rang : Spécial |
Taille : Taille moyenne |
MOU |  | 10 |
INI |  | 7 |
ATT-FOR |  | 7-8 |
DEF-RES |  | 8-6 |
TIR |  | 4 |
COU |  | 8 |
DIS |  | 4 |
POU | | - |
FOI | | - |
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Equipement : Dagues de jet : FOR3, 10/15/20. |
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Compétences : Assassin, Bravoure, Chance, Cible/+3, Toxique/5. (Artefact/2, Contre-attaque, Coup de maître/0, Enchaînement/2, Rechargement rapide/1, Tir d'assaut, Visée). |
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Capacités : Onde de perturbation. Chaque voleuse arcanique peut déclencher une onde de perturbation lors de son activation, avant ou après un déplacement. Tout magicien ennemi présent à 15cm ou moins d'elle gagne POU-1 jusqu'à la fin du tour. Ce malus n'est pas cumulatif si plusieurs voleuses arcaniques sont à portée. En contrepartie, la voleuse arcanique gagne la compétence « Éphémère/5 » jusqu'à la fin du tour.
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PA : 115 |
Origine : Rackham métal |
Figurines correspondantes :
Sienne, Voleuse Arcanique
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Nouvelle officielle Rackham :
SIENNE LA SILENCIEUSE
Première partie : ARPENTER LES OMBRES
L’homme s’écroula sans un mot entre les bras de Sienne, la gorge tranchée, sans avoir même eu le temps de comprendre ce qui lui arrivait. La jeune femme attira son cadavre dans l’ombre d’une ruelle. Elle essuya sa lame sur les vêtements de sa victime puis commença à la fouiller à la recherche d’argent ou de bijoux. Au bout de quelques secondes elle avait récupéré un mince anneau de cuivre et une bourse ne contenant que quelques pièces de peu de valeur. “ Maigre récolte ! ” se dit-elle en fourrant son butin dans le havresac qu’elle portait en bandoulière.
Soudain elle s’immobilisa et tendit l’oreille, vigilante. Elle croyait avoir perçu du bruit provenant d’une rue adjacente et tout son corps se tendait dans la crainte que ce fut autre chose qu’une simple bande de bourgeois avinés. “ La milice ! ” murmura t-elle la mâchoire serrée quand les silhouettes d’hommes en armes se découpèrent dans la lueur des lanternes.
Elle s’était déjà enfuie quand un faisceau lumineux balaya la ruelle pour s’arrêter sur le cadavre encore chaud de l’homme qu’elle avait détroussé. Déjà loin, elle entendit un chien de garde grogner et aboyer dans la direction qu’elle avait prise, puis les hommes se précipiter. Sienne esquissa un sourire. Ils n’avaient aucune chance de la rattraper : trop lents, trop lourds, ils ne pouvaient rivaliser à la course avec l’agile jeune fille. Elle connaissait trop bien Cadwallon, elle traînait dans ses rues depuis qu’elle était toute petite et aurait vite fait de perdre ses poursuivants dans le dédale des ruelles de la ville franche. Bientôt elle rejoindrait la Ville Basse et elle savait que nul garde du Duc Den Azhir n’oserait s’aventurer à sa poursuite dans le Quartier des Ombres.
Après quelques minutes de course elle était quasiment sûre d’avoir semé les miliciens qui s’étaient lancés à ses trousses. Elle déboucha enfin sur une petite place, un peu essoufflée, et s’arrêta net. En face d’elle se tenait une autre escouade de la milice, devant la porte qui devait la ramener dans la Ville Basse. Quatre hommes équipés de hallebardes et bardés de cuir clouté, visiblement surpris de se trouver nez à nez avec la jeune voleuse. Avant qu’ils n’aient le temps de reprendre leurs esprits, Sienne fit volte-face et recommença à courir. Elle ne prêta pas attention aux ordres et imprécations que les miliciens lançaient dans son dos. Elle se sentait piégée : si elle rebroussait chemin elle risquait de retrouver ses premiers poursuivants, mais l’autre groupe lui bloquait cet accès à la Ville Basse. Les autres portes étaient loin, trop loin pour qu’elle puisse espérer les rejoindre sans se faire rattraper.
Tout en courant elle cherchait une solution. Elle jetait de rapides regards en direction des maisons, des murs ou des ruelles, espérant dénicher une cachette. Elle devinait la présence des quatre soldats lancés à sa poursuite, peut être une dizaine de mètres derrière elle. La voleuse commençait à fatiguer mais se forçait à maintenir l’écart entre elle et ses poursuivants. Sienne se rendit compte qu’elle venait de pénétrer dans le quartier des Ambassades. La situation devenait vraiment dangereuse ; elle connaissait peu ce quartier mais savait qu’ici à la milice régulière de Cadwallon s’ajoutaient les hommes d’armes affectés aux Ambassades. A cette heure avancée de la nuit, l’endroit était plutôt calme. Elle courait au hasard des rues, juste préoccupée par l’idée de garder son avance sur les gardes.
Sienne finit par arriver dans une impasse. Les murs hauts des maisons et palais l’encerclaient, l’avaient prise au piège. Elle devait prendre une décision, et vite, les soldats de la milice seraient là dans quelques secondes. La jeune voleuse prit un peu d’élan et se jeta contre une des parois, s’accrochant à une pierre qui saillait légèrement. D’un mouvement de bascule elle projeta son pied sur une minuscule corniche et, trouvant des appuis totalement invisibles à un œil moins habitué que le sien, escalada le mur. Parvenue à son sommet Sienne se hissa à la seule force de ses bras et d’un mouvement acrobatique bascula de l’autre côté. Elle se réceptionna gracieusement sur le sol, puis se colla contre la paroi et tendit l’oreille. Les gardes déboulèrent dans l’impasse à peine une seconde après qu’elle eu disparu de l’autre côté du mur. Sienne les entendait pester, se demander où elle avait bien pu passer. Après une minute ils finirent par se disperser. Une fois les miliciens disparus, la jeune femme put enfin reprendre son souffle et regarder où elle avait atterri.
Elle se trouvait dans un jardin, au milieu d’un massif de magnifiques orchidées pourpres. Les plantes semblaient être bien entretenues mais en chutant elle en avait écrasé plusieurs. Au delà, Sienne apercevait des arbres exotiques et un sentier de pierre qui traversait le jardin. Elle devinait même à travers la végétation un palais à l’architecture somptueuse.
La voleuse voulait attendre encore quelques instants avant de reprendre le chemin qui l’avait conduite jusqu’ici quand elle perçut un bruit étrange, semblable au claquement d’un fouet. Lentement elle tourna la tête sur la droite. A quelques centimètres de son visage flottait une étrange créature, battant lentement de ses ailes de cuir pour se maintenir en l’air. Elle ressemblait à un gros ver annelé d’une étrange couleur bleutée, agité de spasmes et parcouru de veines sombres. L’animal avait une énorme gueule pleine de crocs à l’une de ses extrémités mais pas d’autre organe visible. Sienne restait figée, attendant une réaction de la créature qui ne bougeait toujours pas. Après plusieurs secondes d’immobilité, la voleuse se décida à faire un pas sur le côté. A peine eut-elle esquissé un mouvement que la créature se jeta sur elle pour la mordre au bras gauche. Sienne poussa un cri de douleur et empoigna le monstre de sa main restée libre. Tirant de toutes ses forces, elle l’arracha à son bras et, d’un geste vif, dégaina sa dague puis cloua la créature contre un arbre. Sa blessure était bénigne mais qui savait si la morsure de la bête n’était pas venimeuse ?
En tout cas elle s’en préoccuperait plus tard, il était temps pour elle de s’enfuir. Son cri avait suscité de l’agitation dans le palais et elle voyait déjà des ombres se précipiter dans sa direction. Elle se retourna mais à peine eut-elle le temps de poser sa main sur le mur pour entreprendre son escalade que quelqu’un la tira par l’épaule et d’un geste brutal la jeta à terre. Très rapidement elle fut sous la menace de cinq hallebardes carnassières. “ C’est bien ma chance, se dit-elle, il fallait que je tombe sur l’Ambassade du Scorpion. ” Et alors qu’elle croyait sa dernière heure venue, elle entendit une voix forte jaillir du palais :
- “ Amenez-la moi ! ”
Les gardes l’avaient poussée sans ménagement à l’intérieur du bâtiment. Sienne n’eut pas le temps d’admirer la magnificence architecturale de l’Ambassade Syhar, pressée par les soldats du Scorpion. Elle traversa sans s’arrêter une immense galerie puis finit par pénétrer dans une salle sombre, chichement éclairée par quelques torches. Un lourd tapis aux poils épais couvrait presque entièrement le sol et aux quatre coins de la pièce se dressaient des statues au formes torturées. l’Ambassadeur était riche mais avait des goûts particuliers, pensa t-elle. Une silhouette se tenait dans l’ombre, assise dans un fauteuil de bois noir. Sienne n’apercevait que le bas de sa robe, tout le reste de son corps était plongé dans les ténèbres. Quelqu’un la poussa vers lui, au centre du tapis.
- “ Voici notre jeune voleuse. ”
La voix appartenait à un homme. Il marqua un arrêt, comme s’il prenait le temps d’examiner la jeune femme qui se tenait devant lui.
- “ C’est donc vous qui provoquez nos pauvres miliciens et réveillez ma maison au beau milieu de la nuit. ”
L’homme avait prononcé ces mots sans mépris, plutôt avec un certain amusement. Sienne commençait à se demander ce qu’il pouvait bien lui vouloir. Cette entrevue l’angoissait, elle ne comprenait pas bien pourquoi on ne l’avait pas encore livrée à la milice. Ils auraient même pu la mettre à mort s’ils le voulaient puisque les Ambassadeurs avaient les pleins pouvoirs sur le territoire de leur Ambassade. Cette situation l’inquiétait et elle devait faire des efforts pour que rien ne transparaisse sur son visage. Puis voyant que l’homme se taisait, elle finit par demander sèchement :
- “ Qu’est ce que vous me voulez ? ”
L’homme ne répondit pas tout de suite. Sienne ne pouvait toujours pas voir son visage mais elle sentait qu’il souriait, qu’il attendait qu’elle lance la conversation.
- “ Comme vous pouvez vous en douter, je suis Shaian Alud, Ambassadeur de Syharhalna à Cadwallon. Voyez-vous, je n’ai aucune intention de vous remettre à la milice. Je ne crois pas que la prison ou la potence soit faite pour les gens comme vous, Sienne. ”
Celle-ci sursauta en entendant son nom. Elle ne voyait vraiment pas comment l’homme pouvait la connaître.
- “ Ne soyez pas surprise, vous vous êtes forgée une petite réputation dans la Ville-Basse. Bien mauvaise, je le crains. Vol, assassinat, vos domaines d’activité ne sont pas des plus honorables. Mais vos pairs vous reconnaissent de l’habileté dans le crime, certains même vous surnomment la Silencieuse. ”
Sienne avait déjà entendu ce surnom dans des bouges de la Ville-Basse, elle le trouvait même plutôt flatteur. Ce qui l’étonnait par contre c’était qu’un Ambassadeur possède ce genre d’informations.
- “ Je ne vois pas vraiment où vous voulez en venir. ”
- “ J’y arrive, ma petite, j’y arrive. Comme je vous l’ai déjà dit, j’aurais pu vous livrer à la garde mais je ne le ferai pas, tout simplement parce que vous m’intéressez. J’ai besoin de quelqu’un de votre acabit, intelligent, rapide, discret, et surtout sans scrupules. Je n’ai qu’une confiance toute relative envers nos clones. Ils ont leur utilité bien sûr, mais ils manquent d’initiative, d’intuition. Votre intrusion dans mon domaine est une aubaine puisque vous possédez toutes les qualités que je recherche. ”
- “ Vous me proposez de mettre ma lame à votre disposition. ”
- “ Plus que ça, Sienne. J’ai besoin de vos services pour certaines missions de confiance. Vous m’offrez votre ruse et votre habileté, en échange de quoi je vous propose ma protection. Et de l’or... ”
La jeune femme passa sa main dans ses cheveux courts. Elle semblait réfléchir.
- “ Je n’ai pas l’habitude d’être au service de quelqu’un. ”
- “ Mais c’est parfait ! Je ne cherche pas un serviteur, mais un partenaire, quelqu’un à qui je puisse me fier. ”
- “ Et si je refusais ? ”
- “ Je ne vous menace en aucune manière, je n’ai pas l’habitude de faire du chantage. Vous auriez tort de refuser ma proposition, vous n’avez rien à y perdre et tout à y gagner. Mais je serai très vexé si vous aviez l’audace de refuser et je peux avoir la rancune tenace”
Le silence s’installa dans la pièce. Sienne, pensive, envisageait la proposition de Shaian Alud. Elle n’aimait pas les contraintes, l’asservissement, et elle avait la nette impression qu’on lui mettait le couteau sous la gorge. Mais elle en avait assez de sa vie de rapines, le changement l’attirait. L’Ambassadeur Syhar lui permettait de mettre ses talents au service de quelque chose de plus ambitieux que ses petites activités criminelles.
- “ Pourquoi pas ... ”
- “ Parfait ! ”
L’Ambassadeur ordonna à ses séides de quitter la pièce puis fit signe à Sienne de s’approcher.
- “ J’ai déjà une mission à vous confier. Un certain objet que je voudrais récupérer... ”

Deuxième partie : BRÊVES RENCONTRES
Sienne scruta le ciel menaçant. Toute la plaine était plongée dans une lumière crépusculaire sous les nuages noirs. Elle ne donnait pas une heure à l’orage pour éclater et elle n’avait pas envie de se retrouver au beau milieu de la plaine quand se déverseraient des trombes d’eau. Elle repéra à quelques lieux un petit bois qui pourrait lui offrir un abri contre l’averse et pressa le pas de sa monture.
Tout en chevauchant, elle pensait à la mission que lui avait confié l’Ambassadeur Syhar. Leur conversation avait duré jusqu’à tard dans la nuit. Shaian Alud s’était montré courtois, clair dans ses explications, mais Sienne avait compris qu’il ne lui fournissait que les informations qu’il souhaitait divulguer et que c’était peine perdue d’essayer d’en apprendre plus. Sa confiance s’arrêtait aux limites qu’il s’était lui même fixées. Il lui avait expliqué précisément ce qu’il attendait d’elle et il lui avait présenté sa mission en détail. Sienne devait lui ramener un objet magique, une Lame de Tarot. La jeune femme avait déjà entendu parler de ce mystérieux jeu de cartes qui semblait lié aux personnalités de Cadwallon, c’était même devenu une légende parmi les malandrins de la Ville Basse, mais elle ne savait rien du réel pouvoir de ces artefacts. La Lame que souhaitait récupérer l’Ambassadeur Scorpion était la Lame XVI, la Maison-Dieu, et elle semblait selon ses dires détenir une puissance phénoménale. Il lui avait ensuite présenté l’actuel possesseur de la lame, un Templier du Griffon nommé Esiode en garnison à la Commanderie Templière du Nord située en Avagddu. Il avait déjà envoyé un émissaire pour retrouver sa trace et préparer le terrain. Sienne devait rejoindre cet homme plus tard afin de mener sa mission à terme.
Elle avait eu l’impression en écoutant le diplomate qu’il tenait beaucoup à récupérer cette carte, comme si elle lui revenait de droit. Il ne cherchait nullement à dissimuler sa convoitise. La haine sous-jacente dans ses propos envers l’Akkylannien laissait aussi deviner une histoire longue et complexe, mais Sienne n’avait pas osé le questionner plus avant.
Il n’avait donné aucune directive concernant cet homme mais avait laissé sous-entendre qu’il le préférerait mort.
Dès le lendemain Sienne embarquait sur une nef Syhar qui la déposa discrètement quelques heures plus tard sur les côtes d’Alahan. Shaian Alud lui avait offert une bourse pleine d’or, largement de quoi s’acheter des vivres et un cheval pour rejoindre le petit village de Daguerne où l’attendait l’émissaire de l’Ambassadeur. Elle chevauchait maintenant depuis plusieurs jours, ne s’arrêtant que pour dormir. Elle évitait le plus possible les villages et les habitations isolées où le passage d’une étrangère en armes aurait suscité des interrogations. De toute manière Sienne n’avait jamais vraiment recherché la compagnie de ses semblables et la solitude ne lui pesait vraiment pas.
Un premier éclair, suivi d’une pluie torrentielle, sortit la jeune femme de ses pensées. L’orage grondait au loin et elle n’avait aucune chance de se faire frapper par la foudre, mais avec ce déluge elle serait totalement trempée en quelques minutes. Elle lança son cheval au galop pour parvenir au plus vite sous le couvert des arbres. Une fois à l’abri sous les branches, Sienne descendit de son cheval et l’attacha à un arbre, puis elle ôta sa cape pour tenter de la faire sécher. Elle s’arrêta brusquement. Elle sentait une présence dans les bois, cachée par les arbres. Elle ne percevait rien distinctement mais la jeune femme avait appris à se fier à ses intuitions. Elle sortit sa lame et avança prudemment vers le sous-bois. Elle perçut un grognement sourd puis la forme d’un énorme Wolfen jaillit de l’ombre. Sans lui laisser le temps de la charger, Sienne se fendit et, d’un geste vif et précis, transperça le cœur de la bête. Tuée sur le coup elle s’écroula au sol avec fracas. Mais elle n’était malheureusement pas seule : deux autres créatures sortirent des bois à leur tour. Leur gueule et leur pelage ras étaient maculées de sang, dans leurs yeux brillaient une intelligence maligne. L’un d’eux bondit et frappa Sienne de son arme étrange, de multiples lames accrochées à son avant-bras par des lanières de cuir. La jeune femme fut projetée dans la boue par la violence du choc, l’arme avait déchiré son gilet de cuir et entaillé profondément son flanc droit. A terre, la jeune femme était en position de faiblesse pour se défendre contre les deux Wolfen qui avançaient vers elle, un sourire carnassier déformant leurs traits. Soudain elle entendit le bruit précipité d’un galop et vit un cavalier charger brutalement ses agresseurs. Le nouveau venu asséna un puissant coup d’épée que l’une des bêtes para de sa lame, mais son arrivée inopinée avait permis à Sienne de se relever et de revenir dans le combat. Elle engagea sans tarder l’un des Wolfen, ignorant la douleur qui irradiait son torse. La blessure l’handicapait, elle sentait le sang couler et imprégner ses vêtements, et elle comprit que ce duel serait plus difficile qu’elle ne le pensait. Sienne n’avait pas l’avantage de la taille ni celui de la force et elle paraissait bien frêle face au colosse. Elle était heureusement rapide et esquivait sans trop de problème les coups monstrueux que lui assénait le Wolfen. Elle avait cependant bien du mal à riposter, le monstre semblait capable de deviner les coups que Sienne allait lui porter et il les parait sans difficulté. La jeune femme finit par avoir la désagréable impression que la créature jouait avec elle comme un chat joue avec une souris, attendant qu’elle s’épuise pour la mettre à mort. La jeune femme sentait d’ailleurs la fatigue et la douleur la gagner, et peu à peu la sueur commença à couler sur son front. Elle entendit soudain un râle d’agonie et vit que le cavalier s’était débarrassé de son adversaire et lui venait en aide. Le dernier Wolfen, décontenancé par l’arrivée d’un nouvel assaillant, eut un court moment d’hésitation. Sienne en profita pour le frapper de toutes ses forces, au jugé, et elle vit sa lame traverser la légère cuirasse ouvragée du Wolfen qui mourut aussitôt, la gorge transpercée de part en part.
La jeune femme se sentait prise de légers vertiges. Elle vit dans un brouillard le cavalier descendre de son cheval et s’approcher d’elle. C’était un jeune homme blond, d’à peine vingt ans, vêtu comme un chasseur barhan avec bottes de cavalier, armure de cuir cloutée et coutelas passé en travers de la ceinture. Il avançait vers elle en souriant et Sienne eut juste le temps de le remercier avant de s’évanouir.
En reprenant conscience elle sentit l’odeur agréable de la viande qui cuisait au feu de bois, le jeune cavalier était en train de faire griller une épaisse tranche de gibier au bout d’un morceau de bois. Elle avait été allongée au pied d’un arbre, un peu plus loin dans la forêt. Sienne vit qu’on s’était occupé de sa blessure : sa chemise avait été déchirée et on avait répandu une épaisse bouillie végétale sur sa plaie. La jeune femme ne ressentait aucune douleur, la zone était comme endormie. Elle se rendit compte que le jeune homme venu à son secours était maintenant en train de l’observer. Il lui souriait, attendant qu’elle reprenne totalement ses esprits. Sienne se redressa en s’appuyant sur ses coudes et s’adossa contre l’arbre.
- “ Ne bougez pas trop, vous risqueriez de rouvrir la plaie. ”
- “ C’est bon, je ne suis pas mourante. ”
Elle avait répondu un peu trop sèchement. Malgré tout ce qu’il avait fait pour elle, Sienne se méfiait de l’inconnu ; sa vie à Cadwallon ne lui avait jamais appris la gratitude. Voyant le visage de son interlocuteur se refermer, elle se ravisa et lâcha de timides excuses.
- “ Merci de m’être venu en aide, sans vous je crois que je serais morte à l’heure qu’il est. ”
- “ Je ne pouvais pas laisser ces monstres vous massacrer sans bouger. ”
- “ Là d’où je viens personne n’aurait bougé, on aurait même détourné le regard pour faire comme s’il ne se passait rien. ”
- “ C’est que vous n’avez encore jamais côtoyé de nobles du Lion, jamais un Barhan n’aurait laissé une femme se faire agresser sans lui venir en aide. ”
Le jeune homme parlait avec une fougue qui amusa Sienne.
- “ Je ne suis pas tout à fait une jeune fille sans défenses. ”
- “ Ce n’est pas du tout ce que je voulais dire, rétorqua le cavalier, gêné, mais vous étiez seule, c’étaient des Wolfen... ”
- “ Ce n’étaient pas des Wolfen ordinaires, ils semblaient plus rusés, plus malveillants, plus cruels. ”
- “ C’est aussi ce qu’il m’a semblé, il est normalement rare qu’ils s’éloignent ainsi de la forêt de Diisha. Je n’avais jamais vu un armement aussi étrange que le leur non plus... ”
Les deux jeunes gens se turent, plongés dans leurs pensées. Puis, comme s’il se rappelait soudain de quelque chose, l’homme se releva et tendit sa main à Sienne.
- “ Je m’appelle Kerlhann, Kerlhann de Sandris. ”
La jeune femme parut hésiter puis serra sa main en souriant.
- “ Sienne. De Cadwallon... ”
- “ Je suis ravi de faire votre connaissance, Sienne. ”
- “ Et moi heureuse que vous m’ayez sauvé la vie, Kerlhann. ”
- “ N’en parlons plus, prenez plutôt un morceau de viande, vous devez être affamée. Et puis vous avez perdu beaucoup de sang, il vous faut récupérer des forces. ”
Sienne se jeta effectivement avec plaisir sur la nourriture. Tout en mangeant, elle écoutait distraitement les propos du jeune noble qui évoquait son histoire, son projet de se rendre à Kaïber. Il était plein d’enthousiasme, de passion mais Sienne percevait aussi dans ses paroles beaucoup de naïveté. Elle voyait bien qu’il avait été élevé dans le confort d’un château barhan, qu’il avait rêvé en écoutant les récits de chevalerie, qu’il n’avait jamais dû se battre pour survivre comme elle y avait été contrainte très jeune dans les ruelles de Cadwallon. Mais le flot de paroles de Kerlhann était apaisant, surtout que le jeune homme ne la harcelait pas de questions et respectait son silence. Sienne finit par s’apercevoir qu’elle regardait son visage avec attention depuis plusieurs minutes. Physiquement, il avait quelque chose d'encore un peu juvénile ; ils devaient avoir tous deux presque le même âge mais le visage de la jeune femme était plus dur, déjà marqué par l’existence. Kerlhann avait des traits acérés et ses yeux brillaient d’un éclat intense, passionné. On ne voyait en lui aucune trace d'amertume ou de cynisme. Elle finit par s’avouer qu’elle le trouvait beau.
Il parut surpris lorsque Sienne s’approcha de lui pour l’embrasser mais ne la repoussa pas. La jeune femme avait toujours obéi à ses pulsions et la violence du combat, la mort toute proche, avaient réveillé des désirs enfouis. Elle avait brusquement eu envie de serrer le corps du jeune homme contre le sien, de sentir son souffle sur sa peau, de se raccrocher à la vie. Kerlhann la caressait, timidement, essayait avec maladresse de délacer son corsage. Sienne sourit, dans ce domaine, là aussi, il semblait inexpérimenté. Elle finit par prendre les choses en main, guidant les gestes du jeune homme.
Leur étreinte fut à la fois douce et brutale. Sienne n’avait jamais connu que des histoires brèves avec des brigands de la Ville Basse, des relations frustres et sans passion. Kerlhann n’essayait pas de la dominer, il l’aimait sans lutter. Les gestes gauches mais tendres du garçon éveillaient en elle des sensations nouvelles et pour la première fois la jeune femme réussit à s’abandonner. Ils s’endormirent dans les bras l’un de l’autre, terrassés par le plaisir et la fatigue.
Sienne s’éveilla quelques heures après, Kerlhann dormait encore. Elle le contempla quelques instants, un sourire mélancolique sur les lèvres : dans son sommeil, le jeune noble avait quelque chose d’innocent, d’enfantin. “ Dors, Kerlhann, tu auras tout le temps d’apprendre à souffrir ” lâcha t-elle dans un murmure. Puis sans un bruit elle récupéra son équipement et alla détacher son cheval. Elle avait une mission à accomplir et elle préférait partir sans avoir d'explication à donner. La jeune femme ressentait pourtant comme un léger pincement au cœur, un sentiment qu’elle s’efforça d’ignorer. Elle sortit des bois en silence, puis lança sa monture au galop à travers la nuit noire.

3ème partie : Le Templier déchu
Assise à une table située dans un coin sombre de la taverne, le visage dissimulé par une capuche, Sienne observait les hommes qui entraient dans l'auberge les uns après les autres. Tous semblaient suivre un rituel immuable : ils saluaient les habitués déjà présents, allaient se réchauffer quelques instants auprès du grand feu qui brûlait dans l'âtre puis rejoignaient une table où ils commençaient à boire et à jouer aux dés. La jeune femme regardait leurs visages avec attention : des paysans, des saisonniers, quelques voyageurs comme elle, mais nul trace de l'envoyé de Shaian Alud.
Elle avait pris une chambre à l'auberge de la Mandragore en arrivant au village, ne pensant y demeurer qu'une nuit ou deux.
Cela faisait maintenant près de deux semaines qu'elle attendait.
Tous les soirs elle descendait dans la salle, s'installait dans un coin isolé, commandait à manger et patientait. Tous les soirs elle remontait se coucher sans que l'émissaire de l'Ambassadeur se soit manifesté.
Au bout de quelques jours, les gens avaient commencé à se poser des questions et Sienne avait perçu avec agacement leurs messes basses et leurs regards en coin. Ils se demandaient d'où pouvait venir cette jeune femme et pourquoi elle restait ici, presque sans sortir. Quelques uns avaient voulu en savoir plus et avaient tenté de s'asseoir à sa table pour discuter, mais ils avaient vite rebroussé chemin devant le regard glacial de la native de Cadwallon. Puis ils s'habituèrent à sa présence, leur curiosité retomba et ils la laissaient désormais tranquille.
Les jours passaient lentement. Sienne n'osait pas s'éloigner du village par crainte de manquer l'émissaire de Shaian Alud et elle restait la majeure partie de la journée seule dans sa chambre. Elle avait eu du temps pour penser à ce qui s'était passé ces dernière semaines. A plusieurs reprises le souvenir de Kerlhann était venu la hanter mais elle s'était efforcée de vite chasser cette image de sa tête. Avec le temps elle oublierait...
La jeune femme commençait réellement à s'impatienter. Plusieurs fois, elle avait failli repartir à Cadwallon mais elle s'était ravisée. Il y avait peu de chances que l'Ambassadeur l'accueille avec chaleur si elle revenait sans la Lame de Tarot, surtout si elle lui avouait ne pas avoir eu la patience nécessaire d'attendre son espion. Le diplomate Syhar n'était pas un homme à traiter à la légère et elle avait cru comprendre quel terrible sort il pouvait réserver à ses ennemis.
Elle s'étira en soupirant et s'apprêtait à rejoindre sa chambre quand un inconnu pénétra dans l'auberge. Il était enveloppé dans une épaisse cape aux teintes sombres et il tenait dans sa main un bâton ferré auquel était accrochée une lanterne. Son visage totalement glabre avait quelque chose d'inquiétant. A son entrée, toutes les voix s'étaient tues et on le regardait avec méfiance. Indifférent à l'attention dont il était l'objet, l'homme parcourut la salle du regard. Ses yeux perçants s'arrêtèrent sur Sienne et il s'avança à sa rencontre.
- " Vous vous êtes fait attendre. " Prononça la jeune femme.
- " J'avais de nombreuses choses à régler. Je crois qu'on vous paye suffisamment bien pour que vous sachiez vous montrer patiente. "
L'homme lui avait répondu sans colère mais son ton était plutôt désagréable. Il y avait quelque chose dans sa voix qui mettait Sienne mal à l'aise sans qu'elle puisse cerner ce que c'était, peut-être sa froide autorité... L'homme laissa le temps à la jeune femme de digérer sa réponse puis reprit la parole.
- " J'ai retrouvé Esiode. Il a quitté la Commanderie templière du jour au lendemain, sans avertir personne. J'ai eu peur un moment qu'il ne soit rentré en Akkylannie mais je me suis renseigné, et aucun homme correspondant à son signalement n'a embarqué sur un navire. J'ai dû un peu étendre mes recherches et j'ai fini par retrouver sa trace dans les plaines habitées par ces barbares Keltois. Il se terre dans un ancien réseau de grottes, nous ne devrions pas avoir trop de mal à l'en déloger. "
- " A-t-il des raisons particulières de se cacher, de se méfier ? Se doute t-il que nous sommes à sa poursuite ? "
- " Nous nous rendrons compte de cela bien assez tôt. Nous partirons demain à l'aube. "
Au petit matin, deux silhouettes à cheval quittèrent le village endormi de Daguerne. Sienne et l'émissaire de Shaian Alud avaient plusieurs heures de chevauchée devant eux avant d'atteindre les grottes dans lesquelles se cachait l'Akkylannien. Sur la route, ils passèrent non loin de la Commanderie Templière, une véritable ville cernée de solides murailles et dominée par une forteresse massive. Caravanes marchandes, charrettes de paysans, soldats en armes se pressaient au pied de la gigantesque porte qui s'ouvrait dans la muraille d'enceinte.
Ils voyagèrent en silence. Sienne essaya de lier conversation, mais le Syhar répondait de façon laconique aux questions de la jeune femme et semblait totalement ignorer sa présence. Elle finit par abandonner ses efforts au bout de quelques minutes et se tut.
Ils arrivèrent près des grottes en fin d'après-midi. La voleuse n'en aurait jamais trouvé l'ouverture, presque entièrement camouflée par la végétation, si l'envoyé de Shaian Alud n'avait pas été là. L'homme était descendu de cheval puis s'était dirigé vers un bosquet de fougères et les avait repoussées, mettant à jour une entrée.
En pénétrant dans les souterrains, Sienne se rendit compte qu'ils avaient sans doute été occupés autrefois, on distinguait encore les formes d'une couche ou d'un foyer taillées dans la roche, vestiges d'antiques habitations. Le Scorpion s'était accroupi, sa lanterne à ses pieds, et assemblait sur son bâton un ensemble de lames acérées : en quelques secondes il tenait en main une hache menaçante. Sienne sortit à son tour sa dague de son fourreau. Lorsque l'homme eut fini de s'équiper et qu'il ramassa sa lanterne pour éclairer les ténèbres, elle se rendit compte que la lampe laissait échapper une lumière verdâtre, surnaturelle, elle crût même distinguer une petite forme humanoïde au coeur de la lueur. Elle n'eut pas l'occasion de se pencher sur ce phénomène mystérieux car le Syhar s'éloignait déjà et la jeune femme dût lui emboîter le pas.
Ils commencèrent à explorer le réseau de galeries souterraines. Elles formaient un véritable dédale minéral dans lequel il aurait été facile de se perdre. Au cours de leur exploration, ils débouchèrent plusieurs fois dans des impasses, durent rebrousser chemin à cause de galeries éboulées, de boyaux trop étroits. Les cavernes étaient vides et silencieuses et ils ne dérangèrent rien de plus que de grosses chauves-souris.
Ils arrivèrent finalement dans une vaste grotte qui formait comme une salle naturelle. Elle était éclairée par des dizaines de bougies et semblait grossièrement aménagée : une paillasse traînait dans un coin, on avait disposé un grand tonneau sous une stalactite pour recueillir l'eau qui s'en écoulait. Derrière une table au bois vermoulu était assis un vieillard. Il était vêtu d'une armure portant le symbole du Temple et d'une cape pourpre élimée, mais son corps trop maigre avait l'air de flotter dans ses atours. Ses cheveux étaient sales, sa barbe hirsute et ses yeux sans cesse en mouvement semblaient briller d'une lueur de folie. Lorsqu'il vit arriver Sienne et son compagnon, il poussa un ricanement effrayant et grotesque.
- " Approchez, je vous attendais. "
L'homme les regardait avec un sourire de dément ; Sienne n'arrivait pas à croire que cet être pathétique ait pu être un jour un Frère Templier. Il désigna de sa main osseuse un objet posé sur la table, une carte d'un jeu de tarot.
- " Venez donc récupérer le présent maudit de Shaian Alud. "
Le vieillard fut pris d'une violente quinte de toux qui lui fit cracher du sang. Il s'essuya négligemment du revers de la main et les regarda à nouveau, le visage marqué d'une traînée sanglante.
- " Cet objet finira fatalement par me tuer, j'en ai été son esclave autant que son maître... Approchez, reprenez-le, il ne me servira plus désormais. "
Sienne s'avança, méfiante. Elle ne comprenait pas le sens des paroles d'Esiode et s'attendait à une ruse. Elle cherchait à voir si l'ancien Templier ne dissimulait pas une arme mais celui-ci se tenait tranquille, lui souriait, sa bouche souillée par la sanie. Elle s'approcha lentement et finit par saisir la Lame de Tarot, l'Arcane XVI nommée la Maison-Dieu. L'objet était étrange au contact et dégageait une chaleur semblable à celle d'un corps. Sur l'une de ses faces était représenté un homme dans la force de l'âge, un Templier en armes au visage arrogant. La jeune femme reconnut avec stupeur les traits du vieillard cacochyme qui se tenait devant elle. Soudain l'image sembla se brouiller, la peinture se diluer, les couleurs se mélanger, puis une nouvelle forme apparut et c'est sa propre image que Sienne contempla bientôt. Fascinée par cette magie, elle fut totalement surprise quand une détonation éclata et qu'Esiode s'écroula, le crâne arraché par le coup de feu. Elle fit rapidement volte-face : plusieurs homme en armes, des Griffons, venaient de pénétrer dans la caverne, menés par un individu masqué qui la menaçait de son pistolet. Il portait un tricorne et une cape sombre au-dessus d'une épaisse cuirasse, une lourde épée à deux mains pendait à son côté. Sur sa cape, ainsi que sur les armures de ses suivants apparaissait le sceau de l'Inquisition. Les soldats se dispersèrent dans la grotte et encerclèrent Sienne et son compagnon, la voix de leur meneur retentit alors avec force.
- " Donnez moi l'Arcane ! "
Sienne hésita un moment puis, ne voyant pas d'autre issue possible, elle allait tendre la Lame de Tarot à l'Inquisiteur quand le Syhar fut soudain pris de convulsions. Ses veines semblèrent irriguées par un sang noir et bientôt sa peau se couvrit de taches sombres et mouvantes. En un geste fulgurant, il frappa le Griffon à la main et le désarma, envoyant le pistolet s'écraser contre une paroi. Il semblait pris de frénésie et faisait tournoyer sa hache en une danse sanguinaire, déchirant les armures de ses adversaires comme s'il s'agissait d'étoffes. Tous ses mouvements étaient mortels et chaque coup qu'il portait tranchait un membre ou une tête. Son visage déformé par la fureur, les yeux exorbités, il hurla à Sienne :
- " Fuyez, rapportez l'objet à votre maître ! "
Sans attendre un seul instant, la jeune femme se précipita vers la sortie en serrant l'Arcane XVI contre elle. L'Inquisiteur, qui avait été surpris par la réaction violente du Scorpion, reprit ses esprits et ordonna qu'on la saisisse. Un soldat tenta de s'interposer et s'apprêtait à la frapper mais Sienne fut plus rapide. Elle glissa à terre, esquivant ainsi le coup d'épée bâtarde qui lui était destiné, et d'un geste précis enfonça sa lame derrière le genou de son adversaire. Blessé et déséquilibré, l'homme tomba à terre et, immobilisé par son armure, ne put retenir la jeune femme qui en profita pour s'enfuir.
Sienne faillit hésiter un moment devant l'obscurité la plus totale qui régnait dans les galeries. Elle se rendait compte qu'il lui était presque impossible de retrouver le chemin de la sortie, mais elle s'enfonça finalement dans le boyau et disparut dans les ténèbres...

4e partie : De retour à Cadwallon
Sienne avait couru au hasard des galeries, elle s’était écorché les mains contre les aspérités des parois, pensant pouvoir se guider à tâtons dans le labyrinthe obscur. Mais cela faisait près d’une heure qu’elle avançait ainsi et la jeune femme avait l’impression de tourner en rond. Ses yeux s’habituaient avec peine aux ténèbres. L’obscurité était si dense qu’elle ne pouvait discerner que des formes très confuses. Il lui était impossible de se souvenir du chemin qu’elle avait emprunté à l’aller et de retrouver la sortie des souterrains. Elle était totalement perdue.
Un bruit attira soudain son attention, puis une lueur apparut au bout de la galerie. Sienne se dissimula précipitamment avant que les deux soldats de l’Inquisition qui dirigeaient leur lanterne dans sa direction n’eurent remarqué sa présence. Elle regarda passer les deux hommes, dissimulée dans une anfractuosité. Les Templiers ne devaient pas être particulièrement vigilants puisqu’ils dépassèrent la jeune femme sans la voir.
Alors qu’ils commençaient à disparaître dans l’obscurité, Sienne se dit qu’ils étaient sa seule chance de retrouver la sortie et elle leur emboîta le pas. Elle les suivit furtivement, cachée dans l’ombre, à quelques mètres derrière eux. La jeune voleuse les fila ainsi pendant quelques minutes jusqu’à voir le jour à l’autre bout du tunnel. Elle attendit de longues secondes pour se glisser à son tour vers l’ouverture. Elle s’approcha avec précaution, éblouie par la vive lumière du soleil. Une dizaine de soldats du Griffon se tenaient à quelques pas de la sortie. Sienne serra contre elle l’enveloppe contenant la Lame de Tarot ; cet objet excitait décidément bien des convoitises pour que l’Inquisition s’acharne ainsi à la retrouver. Un homme, monté sur un puissant destrier, le visage dissimulé sous un masque, écoutait avec attention les deux guerriers qu’elle avait pistés. Sienne était trop loin pour entendre ce qu’ils disaient mais elle reconnut l’Inquisiteur qui l’avait menacée dans la grotte. Le combat contre l’émissaire de Shaian Alud avait dû être terrible puisque le Griffon portait un large bandage qui recouvrait toute son épaule. Les guerriers qui l’entouraient montraient eux aussi les marques de nombreuses blessures. Il n’y avait par contre nulle trace du Syhar et la jeune femme se demanda s’il avait été tué ou s’il avait réussi à s’enfuir…
Le plus important pour elle était désormais de parvenir à quitter les lieux et pour cela il lui fallait attendre le départ des Griffons. Elle n’eut à patienter que quelques minutes avant qu’ils ne se décident à reprendre la route en direction du sud, emportant avec eux sa monture et celle du Scorpion.
Plusieurs semaines plus tard, elle regagnait enfin le Port du Kraken. Elle avait marché pendant plusieurs jours avant de trouver un village dans lequel elle avait pu acheter une monture. Ensuite il lui avait fallu regagner un port et trouver une embarcation pour traverser le golfe de Syrlinh. Le plus difficile avait été de convaincre un bateau en partance pour Cadwallon de la prendre à son bord. Heureusement, les Bahrans n’étaient pas si désintéressés qu’ils voulaient le faire croire et elle avait pu embarquer sur l’Aigle d’Ecume moyennant finances, même si une grande partie de l’or de Shaian Alud avait du y passer. Sienne avait été des plus discrètes pendant le voyage et nul ne l’avait inquiétée. L’Inquisition semblait avoir abandonné ses poursuites car elle n’avait croisé aucun soldat du Griffon durant son périple.
A de nombreuses reprises pendant la traversée, elle n’avait pu s’empêcher d’admirer la Lame de Tarot. C’était la première fois que la jeune femme tenait un tel objet entre ses mains. Elle connaissait bien sûr l’existence de l’Arcane XV qui avait appartenu à Aghovar et qui avait valu son assassinat par Sophet Drahas, le Roi des Cendres. Mais malgré les liens privilégiés qui existaient entre l’ancien Maître de la Guilde des Voleurs et la jeune femme, jamais elle n’avait pu s’en approcher. Elle était maintenant irrésistiblement attirée par cet objet et aimait le contempler. Cela n’avait rien à voir avec du narcissisme, même si c’était son visage, sa silhouette, que représentait la carte. Un lien mystérieux s’était créé entre elle et la Lame. Sienne se savait incapable de réveiller la puissance occulte de l’Arcane de Vanius, mais elle pouvait malgré tout en deviner la force. Elle comprenait désormais pourquoi autant de monde cherchait à s’emparer de ces cartes fabuleuses.
A peine eut-elle débarqué sur le quai qu’un homme portant la livrée de l’Ambassade du Scorpion l’enjoignit à le suivre. Une heure plus tard, elle se trouvait en face du diplomate Syhar. Assis dans son fauteuil de bois noir, il accueillit l’arrivée de Sienne avec un petit sourire. Il lui fit signe de s’approcher et de prendre place sur l’un des nombreux coussins étalés sur le tapis de soie écarlate. Il tendit alors la main vers la jeune femme. Celle-ci comprit qu’il attendait la Lame de Tarot et c’est à contre-cœur qu’elle lui remit l’enveloppe de cuir qui protégeait la carte. Shaian Alud s’en empara avec une joie non dissimulée, presque de l’avidité, mais il n’ouvrit pas l’étui et le plaça dans une cassette de cuivre ouvragé qui se trouvait sur une table basse à ses côtés. Il demanda ensuite à la jeune femme de raconter en détail son expédition. Tout en l’écoutant avec attention, l’Ambassadeur caressait la tête d’un chat, un animal sans pelage et aux longs membres fins qui ne cessa d’observer Sienne pendant toute la durée de l’entretien. Quand elle évoqua la présence des hommes de l’Inquisition, Shaian Alud laissa échapper un rire sardonique.
- « Je ne connaissais pas au Pape Innocent une âme de collectionneur. Cela ne lui suffit donc pas de savoir que sa vilaine figure orne l’Arcane XV, la Lame du Diable ? Enfin, vous avez réussi à échapper à ses sbires et je vous en félicite, mais je n’en attendais pas moins de vous. Un de mes serviteurs vous remettra votre récompense à l’issue de cette discussion. »
Sienne inclina la tête en signe de remerciement. Elle hésita un instant puis finit par répondre d’une voix lasse :
- « Votre envoyé s’est sacrifié pour couvrir ma fuite… »
- « Ne vous inquiétez donc pas pour Salias Yesod ! Il est de taille à affronter un Inquisiteur et ses troupes, je ne doute pas qu’il ait survécu et réussi à s’enfuir. Parlons plutôt de l’avenir de notre collaboration. J’ai été très satisfait de la manière dont vous vous êtes comportée durant cette mission. J’ai pu constater que votre réputation n’était pas sans fondement et je pense que j’aurais encore besoin de faire appel à vos services. Nous en reparlerons plus tard. Vous m’excuserez, mais je n’ai que peu de temps à vous accorder, les contraintes de la vie diplomatique… »
L’Ambassadeur de l’Empire des Alchimistes de Dirz se leva prestement et tendit la main à Sienne avec un sourire. Le serviteur qui avait conduit Sienne jusqu’ici rentra dans la pièce pendant que Shaian Alud prenait congé de la jeune femme. La voleuse suivit le domestique Syhar à travers le réseau de couloirs qu’elle n’avait fait qu’entrevoir en entrant dans le domaine de l’Ambassadeur la première fois. Ils finirent par arriver à une porte gardée par un guerrier impressionnant. Elle s’ouvrait discrètement sur une petite ruelle mal éclairée, à plusieurs dizaines de mètres de l’enceinte de l’Ambassade proprement dite. Sienne crut que le serviteur du diplomate allait la laisser là, mais il sortit avec elle dans la ruelle et la porte se referma vivement derrière eux. Devant le regard interrogateur de la jeune femme, il précisa :
- « Je dois vous emmener quelque part. »
Il la guida à travers les rues de Cadwallon jusqu’à une grande maison située dans un quartier artisan. Le bas de la demeure était occupé par l’échoppe d’un tailleur et sa famille logeait dans les étages supérieurs. Le Syhar conduisit Sienne jusqu’en haut de l’escalier branlant. Une échelle de bois amovible et une trappe menaient à un grenier. La pièce était large et étonnamment lumineuse grâce à ses murs blanchis à la chaux, meublée sommairement mais confortablement. Sienne se tourna vers le Scorpion :
- « Qu’est ce que ça veut dire ? »
- « Cette pièce vous servira de refuge. Cela sera beaucoup plus discret pour recevoir vos ordres de mission, l’artisan qui occupe le rez-de-chaussée est suffisamment payé pour savoir ignorer vos allées et venues. Cela vous convient-il ? »
Sienne le regarda, interloquée, et mit un certain temps avant de lui répondre.
Attablée au milieu de la foule bigarrée qui peuplait la Taverne des Oubliés, un tripot animé de la Ville Basse, Sienne réfléchissait à sa nouvelle situation. En acceptant la proposition de l’Ambassadeur, elle était devenue un agent au service des Syhars. A bien y réfléchir, cette situation était plus enviable à celle de franc-voleur qu’elle occupait jusqu’alors, et son avenir se montrait moins incertain. La rétribution promise par Shaian Alud avait été à la hauteur, et si chacune de ses missions était ainsi récompensée, elle pourrait bientôt se considérer comme riche. Néanmoins, la jeune femme avait l’impression d’avoir pris sa décision beaucoup trop hâtivement, sans prendre le temps de réfléchir aux conséquences. Elle avait surtout le désagréable sentiment d’avoir trahi un idéal, celui prôné par Aghovar lorsqu’il dirigeait encore la Guilde des Voleurs : ni dieu, ni maître, juste la fraternité qui unissait les malfaiteurs... Et l’or. Cet esprit libertaire et fraternel avait décliné à la mort du Diable de Cadwallon et Sienne venait de l’enterrer presque définitivement…
Elle commanda un deuxième verre de vin d’Icquor pour noyer ses remords. Soudain un mouvement dans son dos la fit sursauter et elle posa sa main sur la dague cachée dans sa botte. Un homme se tenait derrière elle, elle pouvait sentir sa présence. Lentement, la voleuse se tourna vers l’inconnu. Elle découvrit derrière elle la silhouette inquiétante de celui qu’elle connaissait sous le nom de Lianzareth, un assassin au service de Sophet Drahas. Le visage dissimulé par une capuche, il regardait la voleuse d’un air menaçant, une main posée sur sa lourde lame de tortionnaire :
- « Tu vas devoir me suivre, Sienne, le Roi des Cendres voudrait te parler. »
En un clin, d’œil, la jeune femme analysa la situation. Elle chercha un moyen d’échapper à Lianzareth, mais elle repéra rapidement les trois hommes de main postés à chacun des angles de la pièce ; l’Usurier n’était pas venu seul. Tout indiquait qu’elle n’avait pas le choix et Sienne se leva sans un mot pour suivre le sbire du Nécromancien.
Une fois sortie de l’auberge, elle tenta de s’enfuir en courant. En un éclair, un des colosses la rattrapa et, tordant douloureusement son bras dans son dos, la ramena dans le droit chemin. La jeune femme refusait de céder à la panique mais n’en menait pas large. Elle avait toujours évité de se mêler des affaires de l’assassin d’Aghovar, tant par volonté que par crainte. Elle n’avait jamais réellement cherché à se venger et vivait en marge de l’influence de la Liche.
Les hommes la menaient en silence vers l’Ambassadeur des Obscurs. Ils parvinrent enfin à une grande bâtisse à moitié en ruine, envahie par une assemblée de mendiants et d’assassins. Sienne et les émissaires de la Liche traversèrent leurs rangs sans s’arrêter et descendirent un sombre escalier. En bas, impérial sur son macabre trône, Sophet Drahas attendait. Il était entouré par toute une cour de malandrins et de mercenaires, de spadassins, de tortionnaires. Parmi l’assemblée, Sienne reconnut d’anciens membres de la Guilde des Voleurs comme Aïnoa, la tueuse, qui lui adressa un sourire ironique. Le Roi des Cendres s’était établi un domaine dans les souterrains, une demeure qui ressemblait plus à un tombeau qu’à un palais. Il y vivait seul avec sa malédiction. Mais lorsque l’envie lui prenait de sortir de sa tanière, Sophet aimait à s’entourer de ses gueux et de serviteurs terrorisés, revendiquant ainsi le titre de Duc de la Ville Basse.
Lianzareth poussa Sienne au milieu de la pièce et le Roi des Cendres lui adressa la parole d’une voix sépulcrale.
- « Voici donc la Silencieuse… Je ne vous ferais pas l’offense de vous présenter mes condoléances. Soyez rassurée, je ne vous ai pas mandée pour évoquer ces vieilles histoires de famille, ni pour poursuivre une quelconque vendetta. L’affaire qui m’intéresse est de toute autre nature. Je sais que vous avez été engagée par Shaian Alud, l’Ambassadeur du Scorpion, pour travailler à son service. Vous êtes revenue tout récemment de votre première mission qui vous a menée loin de Cadwallon. »
Les propos du Nécromancien n’appelaient pas d’objection, aussi Sienne se contenta d’acquiescer silencieusement.
- « Comme vous pouvez le constater, je dispose d’un excellent service de renseignement. Mais justement, malgré tous les efforts de mes Usuriers, je n’arrive pas à percer à jour les plans de votre ami Syhar. Depuis plusieurs mois maintenant, il s’active, ébauche des manigances, prépare ses machinations. Vous n’êtes pas la seule à avoir été récemment recrutée pour quelque mission d’importance dont les objectifs me paraissent encore obscurs. Mais je pense que vous allez pouvoir m’aider à dénouer les fils de toutes ces intrigues. »
Un silence pesant s’installa. Tous les regards étaient braqués sur la jeune voleuse. Celle-ci restait muette ; comment Sophet Drahas pouvait-il croire qu’elle allait l’aider dans ses intrigues ? Le Nécromancien se leva et descendit les marches de son trône jusqu’à elle, un étrange sourire aux lèvres. De ses doigts décharnés, il caressa la joue de Sienne. Elle ne put s’empêcher de frissonner.
- « Je vois à votre sourire contrit que vous n’aurez aucun plaisir à me servir. Cela m’importe peu. Je soumettrais l’héritière d’Aghovar comme j’ai soumis tous les autres. »
La jeune femme trouvait la situation d’une cruelle ironie : l’homme qu’elle craignait et haïssait le plus au monde lui demandait de lui servir d’espion. Elle aurait éclaté de rire si elle n’avait pas eu en face d’elle un des individus les plus dangereux d’Aarklash. Elle se contenta donc de demander avec dédain.
- « Pour quelles raisons vous aiderais-je ? »
Elle ne vit pas le coup venir. Un des hommes de main du Nécromancien venait de lui enfoncer sa lame dans le flanc. La blessure n’était pas grave mais suffisamment douloureuse pour que la jeune femme mette un genou à terre.
- « Tout simplement par ce que je ne vous laisse pas le choix. Il n’est pas un endroit à Cadwallon où vous puissiez être à l’abri de mes sbires. Vous savez de quoi je suis capable, vous avez juste de la chance que je vous considère plus utile vivante que morte. »
Sienne sentit qu’on la frappait violemment à la base du crâne et elle s’évanouit sur cette sentence.
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