Nouvelle officielle Rackham :
Le Puy aux morts.
Pilleur de tombes, un métier lucratif et sans risques. Au moins, le pauvre bougre qui se fait dépouiller ne risque pas de se rebiffer.
En tous cas, c'était la conclusion à laquelle étaient arrivés Hans et Gelnis.
Ils étaient venus de l'est pour " faire fortune " dans cette région de l'Akkylannie fréquentée par de riches marchands.
En deux cent ans, ce pays n'avait pas connu de bandits de grand chemin plus minables que ces deux là. S'ils avaient pu voler un leth d'argent à chaque fois qu'ils s'étaient fait rosser par leurs " victimes ", ils seraient riches aujourd'hui !
Et puis Hans avait eu cette idée de génie.
Les paysans du coin appelaient cette colline le Puy aux Morts, à cause du grand tumulus qui se dressait à son sommet. La légende prétendait qu'un puissant sorcier y avait été enterré vivant et que son corps pourrissant vivait toujours dans le tertre. Bref, un vieux tas de cailloux hanté.
- " Racontars de vieille superstitieuse ! " Avait dit Hans. " Mais le gars qui s'est fait enterrer là-dessous devait être une pointure pour mériter tant d'honneurs, si tu vois ce que veux dire. "
Gelnis ne voyait pas ce qu'il voulait dire, mais Gelnis était aussi malin qu'une enclume.
Alors Hans avait poursuivi.
- " Quand un type est assez mégalo pour se faire bâtir un truc pareil, il se fait aussi enterrer avec armes et bagages, quand il n'emporte pas ses femmes et ses serviteurs avec lui. Mon pote, y a un trésor qui dort là dessous, j'en mettrais ma main au feu !"
Gelnis faisait la moue.
- " Mouais, mais même si t'avais raison, d'autres sont certainement passés avant nous. "
- " Tu rigoles ? Les bouseux du coin passent pas à moins de cent mètres de leur foutue colline sans claquer des dents. Tu leur ferais pas mettre le nez là dedans pour tout l'or du monde. Et puis qu'est ce que ça nous coûte d'essayer ? T'as la trouille ? "
Gelnis n'était peut être pas intelligent mais il ne laissait personne prétendre qu'il avait la trouille.
N'empêche que maintenant, si c'était pas de la trouille, ça y ressemblait bigrement.
Pourquoi avait-il fallu que Hans insiste pour y aller la nuit ?
- " Arrête de te plaindre un peu, Gelnis, qu'est ce ça peut te foutre qu'il fasse jour ou pas dehors ? Dans ce machin il fera noir comme dans la gueule d'un Troll de toutes façons. "
" C'est censé me rassurer ça ? " Pensa Gelnis. Mais il garda cette réflexion pour lui et alluma sa torche.
L'entrée du tumulus n'était ni gardée, ni fermée. Lorsqu'ils franchirent le seuil, il leur sembla qu'ils traversaient une sorte de fine membrane, à peine plus consistante qu'un courant d'air.
- " Hééé, c'est quoi ce machin ? " Gémit Gelnis.
- " Probablement des toiles d'araignées, tu vas pas commencer à te dégonfler hein ? " Hans n'obtint qu'un vague grognement pour toute réponse.
À la lueur tremblotante de leurs torches, ils descendirent le long de l'étroit boyau qui s'enfonçait au cœur du tertre. Au fur et à mesure qu'il progressaient, Gelnis sentait ses poils se hérisser sur ses bras et sur sa nuque. Et le froid qui régnait ici n'y était pour rien. Le tunnel descendait en pente douce, de façon circulaire et concentrique. Plus ils s'approchaient du centre, plus la sensation de malaise de Gelnis allait en s'amplifiant.
- " J'aime pas ça Hans. " Murmura-t-il soudain. " Ça sent la magie à plein nez ici. "
Hans ricana.
- " Tu sais ce que ça sent toi la magie ? Mais t'as raison vieux, ça pue ici... ça pue la trouille ! "
Encore une fois Gelnis se tut, non sans avoir lancé un regard noir à Hans.
Quelques dizaines de mètres plus tard, ils parvinrent au bout du tunnel. Celui-ci s'ouvrait sur une pièce vaguement circulaire d'à peine vingt mètres carré à vue d'œil. L'obscurité qui régnait ici était telle que les torches semblaient avoir du mal à dissiper les ténèbres. Hans entra le premier et manqua de s'étaler au sol. Il lâcha un juron et approcha la flamme de l'objet qui l'avait fait trébucher. Un fémur. Humain à l'évidence.
- " Oh bon sang... " Couina Gelnis. " Je te l'avais dis, ça craint ici, tirons nous. "
- " Oh oui, mon dieu, un os dans un tombeau, c'est horrible ! " Ironisa Hans. " Et qu'est ce que tu croyais trouver ici ? Des jeunes vierges vautrées dans de la soie ? Boucle là maintenant et vas fouiller de ce côté. "
Gelnis avait les jambes en coton, mais il s'exécuta.
La pièce n'était pas vaste et Hans eut tôt fait de découvrir la stèle funéraire de l'occupant des lieux.
- " Vacherie ! " S'exclama-t-il rageusement.
- " Quoi ? Qu'est-ce qu'il y a ? " Demanda Gelnis d'une voix un peu plus haut perchée qu'à l'accoutumée.
- " On s'est fait précéder, y a plus rien sur cette momie ! " En disant cela, Hans promenait sa torche tout autour du sépulcre. Il laissa soudain échapper une exclamation qui fit sursauter Gelnis.
- " Quoi ? Quoi ? " Couina-t-il d'une voix apeurée.
- " J'avais raison ! Hahaha ! J'avais raison ! " Exulta Hans. " Regarde moi ça, y en a partout. "
Tout autour de la stèle, divers objets jonchaient le sol. Des bijoux d'or et d'argent, des amulettes et des dagues serties de pierreries.
- " Regarde moi cette merveille. " S'extasia Hans en ramassant un somptueux diadème. " Y en a pour au moins deux cent leths d'or rien que pour ce machin. "
Une expression béate se peignit sur le visage de Gelnis, mais il s'assombrit aussitôt.
- "N'empêche, comment ça se fait que tout ça soit étalé par terre ? Et pourquoi y a autant de macchabées dans cette tombe ? Ca me dit rien du tout. "
- " Bah, je te l'ai dit, ces malades faisaient souvent immoler leurs serviteurs pour les enterrer avec eux. Quant aux bijoux, les rats ont dû mener une sacrée sarabande ici quand ils ont découvert le festin ! Haha ! "
Hans posa le diadème sur son front et toisa son compagnon d'un air faussement important.
- " Fais pas ça Hans. " Geignit Gelnis. " Ca porte malheur. "
Une lueur malsaine embrasa soudain le regard de Hans.
- " Qu'est ce que t'as, pourquoi tu me regarde comme ça ?" Demanda Gelnis d'une voix chevrotante.
Hans émit un ricanement sépulcral et parla d'une voix d'outre tombe.
- " Pauvres fous qui avez violé ma sépulture... vous voilà maintenant à la merci du grand Shadamyzar ! Hahahaaaaa ! "
Gelnis faillit en lâcher sa torche. Il recula en titubant et buta contre une pierre qui le fit tomber sur son séant. Il essayait maintenant de se carapater à quatre pattes. Hans repartit d'un grand rire, qui n'avait plus grand chose de sépulcral.
- " T'es aussi naïf que ma petite nièce mon pauvre Gelnis ! " Arriva-t-il à articuler malgré son fou rire. " Allez, ramasse tes fesses et aide moi à embarquer tout ça maintenant, ou tu auras affaire au terrrrrible Shadamyzaaar ! " Et il repartit à rire.
Partagé entre soulagement, honte et colère, Gelnis obtempéra en silence en se promettant de faire payer cette sale blague à Hans. Il ne parla à nouveau que lorsque l'air frais de la nuit s'engouffra à nouveau dans ses poumons.
- " Haha ! Riches, on est riches Hans... " Il n'arrivait pas à y croire. " C'est incroyable que personne n'ait fait ça avant nous. C'était tellement facile. On n'a eu qu'à se baisser. "
- " Ne sous estime jamais le pouvoir des vieilles superstitions mon ami... " Répondit Hans.
- " Et ne sous estimez jamais la stupidité des gibiers de potence. " Lança une voix qui n'était ni celle de Gelnis, ni celle de Hans.
Instinctivement, Hans tira une dague de sa ceinture et Gelnis se recroquevilla sur lui même. Une silhouette se découpa lentement dans l'obscurité. L'homme était grand et très mince. Il portait une redingote de cuir sombre et un chapeau à large bord, orné d'une boucle d'argent.
- " Oh sainte-vérole, gémit Gelnis, un Chasseur de Ténèbres... "
- " Savez vous à qui appartiens cette tombe ? " Leur demanda l'homme.
Ils ne répondirent pas. Hans avait l'air prêt à mordre et Gelnis cherchait un moyen de disparaître sous terre.
- " Non ? Bien entendu... Moi non plus cependant. Mais bien qu'elle soit antérieure à l'avènement de l'Empire, cette sépulture est sous la protection de notre Seigneur Merin. " L'inquiétant personnage marqua une pause avant de reprendre. " La profanation est un acte d'hérésie messieurs. "
À ces mots, Hans comprit que son destin était scellé. La peur décuplant ses facultés physiques, il bondit avec la rapidité d'un fauve.
Une détonation et un éclair déchirèrent la nuit. La dague de Hans toucha le sol la première. Il la suivit de peu.
Abandonnant son butin, Gelnis courait déjà, essayant de mettre le monde entier entre le Chasseur de Ténèbres et lui. Celui-ci leva lentement son second pistolet et ajusta son tir. Mais il le laissa courir encore un peu, pour la beauté du geste.
Pilleur de tombes. Un métier lucratif et sans risques...